Servane Forest (Leboncoin) "Leboncoin n'attendra pas 2024 pour se mettre en conformité avec le DSA"

La plateforme de petites annonces travaille déjà sur sa mise en conformité avec le Digital Services Act, en renforçant ses équipes pour mieux informer ses utilisateurs et répondre à ces nouvelles obligations.

Plus de vingt ans après la directive e-commerce, le législateur européen a décidé d'agir en mettant au point deux nouveaux textes, le Digital Service Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) pour réguler les actions des grandes plateformes en ligne. Les plateformes concernées devront se mettre en conformité d'ici février ou mars 2024, c'est-à-dire 15 mois après la publication du texte. Servane Forest, directrice juridique de Leboncoin, détaille comment le site de petites annonces, deuxième site e-commerce le plus visité en France avec 27,1 millions de visiteurs uniques mensuels au T2 2022 (derrière Amazon), va s'adapter aux nouvelles obligations posées par ces deux textes.

JDN. Entre le DSA et le DMA, par lequel de ces deux textes êtes-vous le plus concernés ?

Servane Forest a rejoint Leboncoin en août 2011, elle occupe le poste de directrice juridique depuis mai 2017. © DR

Servane Forest. Pour Leboncoin, c'est le DSA qui a un impact direct car il vient réguler les activités des hébergeurs. Nous sommes concernés en tant que plateforme mais pas en tant que VLOP (very large online plateform) car nous n'atteignons pas les 45 millions de destinataires actifs mensuels. Si notre groupe Adevinta les atteint en Europe, ce nombre charnière s'applique au niveau de chaque plateforme et non pas au niveau du groupe.

Le DMA nous concerne indirectement car il crée des obligations et des interdictions s'imposant à certains très gros acteurs, qui enregistrent 7,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur les trois derniers exercices, 75 milliards de capitalisation boursière, 45 millions d'utilisateurs actifs par mois ou 10 000 entreprises utilisatrices par an. L'objectif est de lutter contre les risques de distorsion de concurrence ou un déséquilibre dans les relations contractuelles. Cela vient compléter le droit de la concurrence et ajoute de la sécurité mais il faudra attendre les premières décisions et les moyens de la défense invoqués par les gatekeepers pour voir comment le texte va être appliqué.

Quels points attirent particulièrement votre attention ?

Le DSA introduit une évolution dans les mesures que peuvent prendre les plateformes pour la modération de leurs contenus. La clause du bon samaritain permet aux plateformes d'effectuer de manière proactive des investigations volontaires afin de détecter, identifier et retirer des contenus illicites ou interdire l'accès à certains utilisateurs sans remettre en question le régime de responsabilité limitée dont elles bénéficient. Jusqu'alors les plateformes étaient tiraillées entre leur volonté de diffuser un contenu de qualité et licite et leur capacité limitée de modération de leur contenu afin d'éviter le statut d'éditeur et l'application du régime de responsabilité associé. Si nous nous réjouissons de cette avancée, en revanche, nous attendons de savoir jusqu'où les plateformes pourront aller sans tomber sous le régime de responsabilité des éditeurs.

Quelles sont les nouvelles obligations dans le traitement des signalements et des plaintes ?

Dans le cadre du traitement des signalements, les plateformes ont désormais l'obligation de transparence et d'information des personnes concernées par les mesures prises ou à prendre en indiquant les raisons du signalement et leurs conséquences. Si l'information est souhaitable, une obligation de transparence excessive pourrait desservir l'objectif de protection des consommateurs. En donnant trop d'informations, on pourrait en venir à instruire les fraudeurs sur nos moyens de contrôles ainsi que sur nos critères de détection et leur permettre de les contourner.

"Il faut exclure la responsabilité des plateformes quand une mesure a été prise à la suite de l'injonction d'une autorité ou du signalement d'un trusted flagger"

Les plateformes doivent mettre en place un système interne de traitement des plaintes et permettre un règlement extrajudiciaire des litiges. Dans le cadre du règlement extrajudiciaire des litiges, si la plateforme échoue, elle doit prendre en charge les sommes engagées par l'utilisateur pour faire valoir ses droits sans distinction de l'origine du signalement et de la suppression. Or, le texte prévoit que les plateformes doivent répondre en priorité aux injonctions des autorités et aux signalements des trusted flaggers (lanceurs d'alerte, ndlr). Il va de soi qu'il faut exclure la responsabilité des plateformes quand une mesure a été prise à la suite de l'injonction d'une autorité ou du signalement d'un signaleur de confiance.

Et sur la publicité ?

La publicité est arrivée a posteriori dans le texte. Il y a une volonté du législateur d'encadrer la publicité ciblée : les hébergeurs doivent informer les utilisateurs des raisons qui font qu'ils voient la publicité en question. On crée une dichotomie pas justifiable avec d'un côté l'hébergeur qui devra pousser de l'information aux utilisateurs, et d'un autre, les éditeurs qui ne se verront pas appliquer cette obligation.

Qu'allez-vous devoir mettre en place concrètement sur Leboncoin ?

"Nous allons renforcer nos équipes pour répondre à l'obligation de notice et d'action"

Nous sommes chanceux d'être bien organisés et de déjà répondre aux obligations posées par le DSA. Mais, nous allons renforcer nos équipes pour répondre à l'obligation de notice et d'action, nous allons aussi avoir besoin de ressources supplémentaires pour répondre aux obligations de messages et d'informations sur les mesures prises en cas de signalement. Une personne signalée doit être informée et se voir offrir des voies de recours interne. Cela va créer beaucoup plus d'échanges autour d'un signalement.

Concernant la clause du bon samaritain, nous étudions comment l'utiliser et quelles mesures mettre en place pour détecter, identifier et retirer des contenus illicites afin de poursuivre l'amélioration de la qualité de nos contenus. Pour l'information de l'utilisateur sur la publicité ciblée, nous regardons comment agir et de quelle manière nous allons récupérer ces informations que nous ne détenons pas toujours et les afficher.

Nous n'attendrons pas début 2024 pour nous mettre en conformité, cela nécessite de l'organisation en interne, notamment du point de vue du traitement des plaintes et nous devons déjà amorcer une révision de nos processus.

De quel œil voyez-vous la mise en place du DSA ?

Nous y sommes très favorables. Nous sommes très satisfaits que les principes de la directive e-commerce de 2000 aient été repris. Cette directive a réussi à rester d'actualité pendant 20 ans alors que le digital a évolué de manière exponentielle. Nous avons été entendus. Des clauses comme celles du bon samaritain nous permettent d'aller plus loin sans risquer de tomber sous le régime de l'éditeur, ce qui aurait nuit au dynamisme du marché.

Ce texte sera-t-il bénéfique à tous les acteurs du marché ?

De nombreuses obligations imposées par le DSA ne sont pas applicables aux TPE et PME. Toutefois, le texte fixe de nouveaux standards auxquels les consommateurs peuvent être sensibles et qu'ils pourraient à l'avenir attendre et exiger des plateformes sur lesquelles ils se rendent, qu'ils s'agissent de VLOP ou de TPE et PME. Ces nouvelles règles pourraient s'imposer aux plus petites structures telle une soft law et créer une importante barrière à l'entrée, la mise en place de ces obligations représentant un investissement important.

Servane Forest a rejoint Leboncoin en août 2011, elle occupe le poste de directrice juridique depuis mai 2017. Après une formation de juriste et l'obtention d'un master 2 en droit de l'Internet à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2004, Servane Forest rejoint la direction juridique de NRJ Group. Elle obtient aussi un master 2 en propriété industrielle à l'université Panthéon-Assas en 2011.