De l’intérêt du recommandé électronique

Un nouvel arrêt sur les échanges numériques a été rendu par la la Cour de Cassation. S'il ne s’agit pas d’un arrêt de principe, il apporte néanmoins un éclairage dans un domaine où les décisions sont rares.

Les faits sont similaires à ceux qui avaient donné lieu à l'arrêt rendu par cette même chambre le 4 décembre 2008. Une CPAM notifie une décision de prise en charge de maladie professionnelle à la société Carrefour hypermarchés, et cette dernière soutient que cette décision ne lui est pas opposable car elle n'aurait jamais reçu la notification afférente.

 

Dans ce cas, la décision avait été notifiée par courrier recommandé avec avis de réception. Le pourvoi formé par la société Carrefour hypermarchés faisait état de la lacune bien connue du courrier recommandé postal en matière probatoire : « la simple signature portée sur un accusé de réception démontre simplement la réception d'un courrier à la date indiquée et est inefficace pour établir le contenu d'un acte juridique ; qu'en énonçant que la production par la caisse d'un accusé de réception signé par la société dont rien ne permet d'identifier le contenu, ni le dossier auquel il correspond constituerait un commencement de preuve par écrit de l'existence d'un courrier de clôture de l'instruction concernant la maladie de Mme X, la cour d'appel a violé l'article 1347 du code civil ».

 

Comme dans l'arrêt rendu le 4 décembre 2008, la CPAM produisait à l'appui de ses affirmations une impression papier d'un fichier informatique, imprimé sur un papier à en tête qui n'était pas celui en vigueur à la date de création du courrier. De façon générale, le pourvoi reprenait le raisonnement qui avait été tenu par la Cour de Cassation dans l'arrêt précité pour faire valoir l'absence de valeur probante de la copie produite par la CPAM.

 

Mais en l'espèce, la seconde chambre civile n'a pas suivi l'argumentaire développé par le pourvoi, considérant que dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel a pu justement déduire que la société Carrefour hypermarchés avait effectivement reçu le courrier d'information.

 

La Cour considère en effet que la pièce produite par la CPAM, « même si l'entête et le pied figurant sur la lettre ne sont pas ceux qu'utilisait la caisse à l'époque et résulte de la réédition de la lettre conservée en informatique », constitue un commencement de preuve par écrit qui « rend vraisemblable le fait allégué ».

  

- C'est là l'enseignement direct de cet arrêt : la juridiction, « procédant de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits devant elle », apprécie l'ensemble des éléments portés à sa connaissance pour décider de la valeur probante d'un document, indépendamment de toute considération technique.

 

En l'espèce le cycle de vie du courrier contesté n'avait pas fait l'objet de justifications techniques, et pour cause car il n'y en avait aucune. La copie électronique du courrier n'avait pas fait l'objet d'une conservation en archive numérique conforme aux règles de l'art, aucune trace fiable n'avait été conservé du processus d'impression/signature et envoi par LRAR. C'est donc sur un faisceau d'indice, composé d'une part de la production d'un « commencement de preuve » constitué de l'impression papier du fichier informatique, et d'autre part du recours au recommandé postal, que s'est fondé le juge pour conclure qu'il était des plus vraisemblables que la société Carrefour Hypermarchés ait reçu le courrier litigieux.

 

- Le second enseignement est celui qui intéresse tous ceux qui réfléchissent à la sécurisation de leurs processus de production et d'échange de documents. Cette affaire n'aurait pas été portée devant la Cour de cassation si la CPAM avait mis en oeuvre un système d'archivage lui permettant de conserver une copie informatique fidèle et conforme du courrier, comprenant la conservation des traces de l'envoi par recommandé postal.

 

Cela étant, on le sait, les processus « hybrides », c'est-à-dire ceux mélangeant les supports électroniques et papiers, sont fragiles au plan probatoire car l'impression papier entraîne une rupture dans la chaîne de « confiance » du document. Cette fragilité peut néanmoins être réduite, dès lors que le processus de conservation/impression est mis en oeuvre dans le cadre d'un projet maîtrisé et documenté.

 

- Le dernier enseignement est une constatation : celle de l'incontestable supériorité du recommandé électronique en termes probatoires, puisque le recommandé électronique, qui s'accompagne du calcul et de la conservation d'une empreinte du document, permet de faire preuve du contenu de celui-ci. De plus, n'impliquant pas de rupture de support numérique/papier, le recours au recommandé électronique permet la mise en oeuvre de processus homogènes de gestion du document numérique, incluant sa phase d'établissement, sa phase transactionnelle et sa phase de conservation.


 

Voici donc un arrêt qui, au-delà de sa réaffirmation, classique, de l'importance de la notion de commencement de preuve par écrit et du pouvoir d'appréciation du juge en la matière, porte une nouvelle pierre à notre connaissance des processus d'échange dématérialisés et ne manquera pas d'intéresser les acteurs de ce domaine.