Quel avenir pour les cryptos anonymes ?

Quel avenir pour les cryptos anonymes ? Pour répondre aux injonctions de certaines autorités, Binance ne propose plus l'achat et la revente de cryptomonnaies anonymes comme Monero (XMR). L'avenir de ces cryptos à la réputation sulfureuse est incertain.

Alors que la SEC a assigné Binance et Coinbase aux Etats-Unis, la nouvelle relative au delisting de Monero, qui date de la semaine précédente, est un peu passée inaperçue. D'autant plus qu'elle ne concerne que quatre pays européens. Pourtant, elle est très importante pour l'avenir de ces cryptomonnaies.

Binance a donc annoncé la suppression ou radiation (le terme anglais delisting est très usité dans le monde crypto) à partir du 26 juin prochain du trading de plusieurs cryptomonnaies, dont Monero et Zcash. Toutes les cryptos radiées ont un point commun : elles sont connues pour être anonymes. La plateforme cite des pressions réglementaires en France, en Italie, en Espagne et en Pologne.

Le règlement européen MiCA, qui devrait entrer en application l'année prochaine ou la suivante, joue aussi un rôle dans cette décision prise par Binance. C'est un vrai coup dur pour ces cryptos, qui n'ont certes pas une bonne réputation, car accusées de favoriser les transactions illicites. Mais la partie est-elle réellement perdue pour Monero et consorts ?

Un delisting de Monero sous la pression des régulateurs

Que sont Monero (XMR), Zcash (ZEC) et les crypto anonymes ?

Monero et les crypto anonymes n'ont pas bonne réputation rien qu'à leur nom. Cependant, en anglais, on parle de privacy tokens, en mettant donc l'accent plutôt sur le côté protection de la vie privée. Le principal objectif de ces cryptos est d'améliorer la confidentialité des utilisateurs via l'anonymat des transactions.

En effet, contrairement à Bitcoin ou Ethereum, où les transactions sont publiques et pseudonymes, les cryptos anonymes dissimulent les informations liées aux transactions. Par exemple, Monero utilise une série de fonctions cryptographiques complexes pour y parvenir, comme les signatures de cercle, qui mélangent les clés de compte d'un utilisateur avec des clés publiques de la blockchain. Cela permet de rendre quasiment impossible le lien d'une transaction à un utilisateur particulier.

Monero utilise également des adresses furtives (stealth addresses), qui sont des adresses uniques générées pour chaque transaction au nom du destinataire. Ce mécanisme assure que les transactions ne peuvent pas être liées à l'adresse du destinataire.

Quant à Zcash, il utilise une technique différente, appelée zk-SNARKs, permettant au réseau de valider les transactions sans révéler de détails sur l'expéditeur, le destinataire ou le montant de la transaction. L'objectif de Monero, Zcash et des autres cryptos anonymes est donc clairement de rendre intraçables les transactions, avec une quasi-impossibilité de remonter jusqu'à leurs auteurs. Or, ce mécanisme est très mal vu par les autorités.

Pourquoi les autorités voient les cryptos anonymes d'un mauvais œil ?

Il n'y a pas besoin de creuser le sujet pour comprendre ce qui gêne les autorités. Le plus crucial, c'est l'impossibilité de tracer les transactions, ce qui facilite objectivement l'utilisation de ces cryptomonnaies pour effectuer des transactions illicites. En d'autres termes, Monero et les autres ont la même fonctionnalité que le cash : rendre les transactions anonymes.

A ce jour, une entreprise comme Chainalysis, spécialisée dans l'analyse des transactions d'une blockchain et souvent mandatée dans le cadre d'une enquête pénale, n'a pas la capacité de remonter de manière effective jusqu'à l'ensemble des utilisateurs de Monero. Chainalysis a notamment besoin d'une transaction publique ou de tout autre indice pour arriver à ses fins.

En d'autres termes, Monero et consorts sont assez prisées sur le darknet, au contraire de Bitcoin, qui est public et traçable. Ce sont aujourd'hui les seules cryptomonnaies qui garantissent un anonymat total. Bien que l'idée de départ fût de protéger la vie privée, il va sans dire que la belle philosophie a vite dérivé.

Cependant, il ne faut pas exagérer le poids de Monero et des autres cryptomonnaies anonymes. Celles-ci restent peu utilisées, ce qui ne les rend pas aussi liquides que le BTC ou l'ETH par exemple. Or, utiliser des cryptos "lentes" n'est pas forcément ce qu'il y a de mieux pour réaliser des transactions illicites.

Monero et les cryptos anonymes ont-elles un avenir ?

Un avenir sombre sur les plateformes centralisées

L'exagération ne doit pas non plus être de mise sur la décision de Binance. D'une part, elle ne concerne que quatre pays européens. D'autre part, elle ne concerne que Binance. Ainsi, au moment où ces lignes sont écrites, Monero, Zcash et les autres restent accessibles à une grande majorité des utilisateurs des plateformes centralisées.

Toutefois, il semble certain que l'avenir de ces cryptos sur les plateformes centralisées soit scellé. Bien que ce ne soit pas explicite dans le texte, une interprétation du futur règlement européen MiCA fait dire que les cryptos anonymes ne pourront être proposées aux résidents européens. En d'autres termes, elles ne pourront plus apparaître sur les plateformes centralisées.

Avec tout ce qu'il passe actuellement aux Etats-Unis et la croisade de la SEC, on ne voit pas non plus comment ces cryptomonnaies pourraient survivre sur les plateformes centralisées. Nous estimons donc que Monero et les autres cryptos anonymes vivent leur dernier mois sur les plateformes centralisées régulées. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'elles vont disparaître.

Un avenir certain dans le monde décentralisé… tant qu'il n'est pas soumis à la réglementation

Dans le monde décentralisé, les cryptos anonymes restent disponibles et il n'y a pas de raison que cela ne le soit plus à l'avenir. Les protocoles décentralisés bénéficient de l'absence de gouvernance centralisée et la réglementation ne leur est donc pas applicable.

Ces protocoles peuvent ainsi lister n'importe quel token et, souvent, personne n'a le pouvoir de les radier. C'est le marché qui envoie une crypto aux oubliettes, tout simplement parce qu'elle n'intéresse plus les utilisateurs. En d'autres termes, il n'y a, à ce jour, aucun moyen d'interdire les cryptomonnaies anonymes dans les protocoles de finance décentralisée (DeFI).

Toutefois, peut-on dire que cela va perdurer à l'avenir ? Rien n'est moins sûr. Il s'en est fallu de peu pour que MiCA soit applicable à la DeFi. Par ailleurs, TFR, l'autre règlement européen applicable aux cryptos, va obliger les plateformes centralisées à réaliser une vérification d'identité (KYC) en cas d'envoi de cryptos sur des wallets personnels. Cela resserre l'étau sur les protocoles décentralisés, qui ne sont accessibles qu'aux seuls wallets personnels.

Si une règlementation est applicable à la DeFi dans le futur, nul doute que les cryptomonnaies anonymes seront forcément touchées. Mais nous n'en sommes pas encore là.