Reconversion ou diversification, le vélo attire les opérateurs de trottinettes

Reconversion ou diversification, le vélo attire les opérateurs de trottinettes Les opérateurs de trottinettes viendront bientôt concurrencer les acteurs du vélo électrique comme Jump, Pony et Zoov. A moins qu'ils ne décident de s'allier avec eux pour gérer ce business encore plus cher et difficile que le leur.

Si le grand ménage prévu sur le marché des trottinettes en libre-service est reporté par le coronavirus, il finira bien par arriver. De nombreuses villes françaises devaient en effet organiser des appels d'offres après les municipales pour limiter les flottes et le nombre d'opérateurs. Très attendu, celui de Paris, l'un des plus gros marchés du monde, pour lequel les opérateurs ont déposé leurs candidatures en mars, devait être réglé au printemps pour un début d'opérations en juin. Un mouvement similaire est à l'œuvre aux Etats-Unis et dans d'autre pays européens.

Une question se posera alors aux opérateurs, aussi bien pour les gagnants que les perdants d'un appel d'offres : celle de la diversification. Ainsi, la plupart des opérateurs de trottinettes en libre-service veulent proposer des vélos électriques. A l'exception de l'Allemand Tier, qui s'oriente pour sa part vers les scooters, avec le rachat de 5 000 appareils du défunt service Coup.

Complémentarité

Pour le gagnant, le vélo est une opportunité de continuer à croître. Car avec un nombre de trottinettes limité par la mairie, il est difficile de continuer à augmenter indéfiniment son chiffre d'affaires sur un marché, au-delà d'un perpétuel raffinement de la logistique. C'est aussi une manière d'augmenter la taille de sa flotte avec un appareil remplissant un service similaire, et ainsi d'éviter de laisser partir le client chez un concurrent si toute la flotte de trottinettes est mobilisée un jour de forte demande. Par ailleurs, il existe une certaine complémentarité entre vélos et trottinettes, constate Lauréline Serieys, directrice France de Jump, la filiale d'Uber qui propose les deux appareils en libre-service. "Les trajets en vélos sont plus longs et se font plutôt aux heures de pointe, tandis que les trottinettes sont davantage utilisées par les touristes, ainsi que le weekend et en fin de journée."

Quant au perdant d'un appel d'offres, le vélo peut être une porte de sortie honorable pour éviter de quitter complètement un marché. Un gros opérateur avec beaucoup d'utilisateurs, qui a développé son business depuis plusieurs années pourrait ainsi tenter de continuer à monétiser ses utilisateurs en leur proposant un autre moyen de se déplacer, plutôt que de laisser toute la valeur créée disparaître.

Vainqueurs et vaincus devront en tout cas affronter des entreprises qui proposent déjà des vélos en libre-service en France, et conçoivent leurs propres appareils. D'abord Jump. L'entreprise américaine, rachetée par Uber en 2018, est présente à Paris et dans des dizaines d'autres villes dans le monde. La qualité de ses vélos est reconnue jusque chez ses concurrents, et elle profite de l'énorme vivier d'utilisateurs de l'appli Uber. Alors que la mairie demandait aux opérateurs de trottinettes de limiter leur flotte de trottinettes à 500 appareils l'année dernière, l'entreprise a pu déployer progressivement et massivement ses vélos. Elle en comptait 5 000 à Paris avant le confinement, et commençait à étudier son expansion dans le reste de la France.

Autre acteur, le Français Zoov, start-up fondée par Eric Carreel (créateur de Whitings) pour développer l'usage du vélo électrique en entreprise. La start-up, présente à Bordeaux et sur le plateau de Saclay, vise à la fois les grandes villes et les grands regroupements d'entreprises en périphérie. Ses particularités : un mélange de stations fixes et de free-floating ainsi qu'une batterie externe clippable sur le vélo pour augmenter la longueur des trajets. 

"Les villes sont plus bienveillantes avec les vélos qu'avec les trottinettes"

Le troisième, Pony, est aussi français. Présente à Bordeaux et Angers, ainsi qu'Oxford au Royaume-Uni, cette start-up développe un modèle original, dans lequel ses utilisateurs peuvent acheter un vélo (mécanique) ou une trottinette électrique de sa flotte, puis le proposer à la location sur l'appli de Pony pour partager à 50-50 les revenus ainsi générés. Pony s'occupe des réparations et remplace l'appareil en cas de vol. L'utilisateur peut à tout moment retirer l'appareil de la flotte publique de Pony depuis l'application pour le réserver à son usage personnel. Avant le début du confinement, la start-up préparait son lancement à Paris avec un nouveau vélo électrique deux places. Pour compléter le tableau, n'oublions pas les vélos municipaux, qui commencent à s'électrifier, et dont les tarifs subventionnés sont inégalables par ces opérateurs privés.

Ces trois acteurs français sont pour l'instant assez tranquilles, car ils ont peu de concurrence et ne sont en général pas régulés comme les trottinettes vont bientôt l'être (bien que la loi mobilités en donne la possibilité), avec des tailles maximales de flottes et un nombre limité d'opérateurs. Mais avec l'intérêt croissant des opérateurs de trottinettes pour le vélo électrique, ce marché pourrait bien connaître la même frénésie que celui des trottinettes l'année dernière, qui avait viré à la pagaille, forçant les municipalités à intervenir. "Les villes sont beaucoup plus bienveillantes avec les vélos qu'avec les trottinettes", constate Paul-Adrien Cormerais, fondateur de Pony, qui propose les deux appareils. "Mais dès que le nombre d'acteurs se multipliera, la position changera. Grenoble a été la première ville à faire un appel d'offres avec les mêmes conditions pour vélos et trottinettes. Et Paris a déjà annoncé qu'il en serait de même si l'on dépassait les trois opérateurs."

Outre la vigilance des villes, le contexte économique et financier a changé pour les start-up. A fortiori en ce temps de crise qui raréfient l'accès au capital-risque. Mais déjà avant, les jeunes pousses du free-floating avait davantage de mal à lever des fonds et faisaient face à la pression de leurs actionnaires pour travailler sur leur rentabilité, plutôt que de poursuivre leur expansion. Impossible donc de se lancer rapidement avec des vélos de supermarché peu résistants puis d'améliorer progressivement leur hardware, comme ils l'ont fait avec les trottinettes. 

"Un vélo électrique coûte deux à trois fois plus cher qu'une trottinette"

D'autant que le vélo est plus cher et plus compliqué à opérer, explique Henri Moissinac, cofondateur de la start-up de trottinettes en libre-service Dott, qui cherche à entrer sur le marché mais dit attendre "le bon vélo" pour se lancer. "Un vélo électrique coûte deux à trois fois plus cher qu'une trottinette et contient plus de pièces détachées. Les roues sont plus chères et cassent plus souvent. Comme ils sont plus gros, il faut aussi davantage de camions pour organiser les opérations de maintenance", énumère-t-il. Le risque financier est donc supérieur en cas de faible demande, ou de dégradation trop importante de la flotte. 

Pour toutes ces raisons, on devrait voir émerger des partenariats entre opérateurs des vélos et de trottinettes, anticipe Arnaud Le Rodallec, cofondateur de Zoov. "Je ne vois pas les opérateurs de trottinettes refaire toute la courbe d'apprentissage alors qu'ils n'ont pas le savoir-faire et que des acteurs comme Zoov, Pony et Jump ont déjà des produits aboutis". Il assure avoir déjà discuté de partenariats avec certains opérateurs, sans pouvoir les nommer. "Dans le cadre de l'appel d'offres à Paris, certains se disent 'soit je perds l'appel d'offres et je me tourne vers le vélo, soit je renforce ma candidature avec du vélo'". Pony affirme aussi discuter avec des opérateurs, "soit pour qu'ils utilisent notre hardware, soit pour nous intégrer à leur application", précise Paul-Adrien Cormerais. De leur côté, ces entreprises peu capitalisées peuvent avoir un intérêt à s'allier à une plus grosse start-up car elles n'ont pas la capacité financière pour gérer un déploiement à grande échelle, relève Henri Moissinac chez Dott. Après le grand chacun pour soi du marché des trottinettes, c'est donc une bataille  d'alliances qui se profile sur le vélo électrique.