Les petits restaurateurs dans la tourmente

La restauration fait partie des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire. Pour l'aider, le gouvernement a mis en place différentes aides. Pourtant celles-ci ne sont pas adaptées à tous.

Du fait de la crise sanitaire, 2 établissements sur 3 pourraient faire faillite dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. Fermeture, couvre-feux, absence des touristes et essor du télétravail ont mis à mal les restaurateurs. L’annonce d’une potentielle réouverture qu’à compter du 20 janvier durcit encore cette situation, amenant les établissements à presque 3 mois de fermeture. Le gouvernement a choisi de soutenir l’économie, de proposer des aides concrètes pour répondre aux difficultés des secteurs les plus touchés comme la restauration. Si ces mesures aident effectivement les restaurateurs d’une certaine envergure, les plus petits restent très fragilisés. Pourquoi ?

Pour répondre à cette question, passons en revue les différentes aides, en ayant à l’esprit que leur octroi implique un important travail administratif, pouvant s’avérer délicat pour un restaurateur indépendant qui n’aurait pas un service comptable (intégré ou prestataire).

Le fonds de solidarité jusqu’à 10 000€. Si cette aide est une mesure concrète, elle n’a pour le moment pas encore été perçue par les restaurateurs concernés. Et cette enveloppe reste très faible au regard des dépenses engagées et des pertes nettes du secteur. Depuis le 24 novembre, il a été annoncé que les restaurateurs pouvaient opter entre le fonds de solidarité ou le versement de 20% du chiffre d’affaires mensuel 2019 (même mois de l’année précédente ou CA mensuel moyen réalisé sur l’année). Mais ce versement, plafonné initialement à 100 000€, l’est à hauteur de 200 000€ depuis le 1er décembre, soit 40 000 euros. Sachant qu’en moyenne un restaurateur indépendant réalise un chiffre d’affaires annuel de 1 million d’euros, soit plus de 80 000€ par mois, cela représente pour lui une aide maximale d’environ 16 000€.

Le prêt garanti par l’Etat (PGE). Pour obtenir un PGE, il faut être noté au moins 5+ à la Banque de France. C’est souvent le cas des restaurateurs de réseaux mais rarement celui des indépendants, qui sont au choix pas connus de la Banque de France, mal notés, ou dont le bilan n’a pas été publié. Le PGE est obtenu par 9 établissements éligibles sur 10, un vrai coup de pouce pour tenir à court terme. En cas de non obtention, il est possible de demander un prêt direct de l’Etat mais ils sont extrêmement difficiles à avoir et requièrent de la patience et de l’énergie pour mener à bien toute la partie administrative de la requête. Pour les entreprises ayant obtenu un PGE, la véritable difficulté se verra au moment de le rembourser. Pour le moment, il peut être décalé de 12 mois mais il faudra bien commencer à rembourser et les gains ne seront pas suffisants par rapport aux pertes et dépenses liées à la crise (l’excédent brut d’exploitation ou EBE – résultat du CA auquel on soustrait le coût social, le coût marchandises, l’effort locatif et les frais généraux – devra être en croissance, ce qui est impossible). Un amortissement sur 10 ans serait plus pérenne pour la profession. Et il faudrait pouvoir remplacer ces lignes de prêt par un prêt participatif ou, pourquoi pas dans certains cas, par une entrée au capital.

Le chômage partiel. Cette mesure, facile à mettre en place et vraiment efficace, permet de préserver ses équipes. L’Etat prend en charge à 100% le coût du chômage forcé. Pour les restaurateurs de réseaux, le coût social (salaires et charges) représente à peu près 35% du chiffre d’affaires annuel HT. Cependant, deux difficultés demeurent : la non prise en charge des congés payés jusqu’à il y a peu, et l’absence totale de compensation pour les gérants de restaurants indépendants. Concernant les congés payés, le ministère du Travail a annoncé mercredi 2 décembre en prendre en charge 10 pour les plus touchés et selon certaines conditions. C’est une aide concrète utile bien que faible. Il nous aurait paru pertinent que le gouvernement les prenne tous en charge le temps des fermetures administratives ou annule les charges qui pèsent dessus ce temps-là, mais c’est un premier pas. Concernant l’absence de compensation, les gérants d’établissements indépendants vivent exclusivement de leur activité et ne perçoivent absolument rien quand leur établissement est fermé : pas d’aide, pas de chômage. Un véritable drame pour nombre d’entre eux.

Il reste cependant des frais incompressibles à assurer et des pertes nettes.

L’effort locatif. Il représente 8 à 15% du CA annuel HT. Si les réseaux importants disposent d’un poids suffisant pour négocier avec les foncières (report, annulation partielle ou totale, etc.), ce n’est pas le cas des indépendants. Pour ces derniers, on parle souvent d’un loyer entre 2 et 3 000€ par mois. Mais, même s’ils pouvaient négocier, la difficulté reste que, dans la majorité de cas, les bailleurs ont besoin de ce loyer pour rembourser leur crédit.

Les frais généraux variables. Eau, électricité, comptabilité, administratif, assurance, etc. représentent des frais auxquels on ne peut se soustraire. Si la facture d’eau et d’électricité a indubitablement baissé, le reste est toujours d’actualité. Au total, pour des restaurants de réseaux ces frais généraux représentant 8 à 12% du CA annuel HT.

La perte marchandises à l’annonce des confinements. Il s’agit d’une perte nette. Le gouvernement a annoncé avec un préavis de seulement quelques jours (un mercredi soir pour le week-end suivant) que les établissements devaient baisser leurs rideaux. Travaillant avec des produits frais et donc avec une DLC courte, les restaurateurs avaient déjà anticipé l’achat des marchandises pour assurer les repas du week-end. Même si la plupart a pu en faire don à ses employés et à des associations, cela représente une perte considérable (100 000€ pour 10 établissements dans mon cas).

Pour les réseaux de restauration, véritablement aidés par les mesures du gouvernement, il va falloir penser long terme pour le remboursement des PGE et réfléchir à comment soutenir les congés payés. Pour les petits restaurateurs, c’est une autre affaire : il faut absolument proposer des aides efficaces et immédiatement disponibles. En ce sens, deux mesures pourraient être mises en place. La première, de la part de la profession : un fonds de solidarité assuré par les réseaux les plus solides qui se sont stabilisés et qui peuvent allouer jusqu’à 7% de leur PGE. L’urgence est d’autant plus forte que décembre est habituellement une période faste et que la date de réouverture des établissements au 20 janvier est loin d’être confirmée. La deuxième, de la part du gouvernement : qu’il décrète que le virus est une catastrophe naturelle et convoque les assurances afin qu’elles paient les pertes d’exploitation des restaurants qu’elles accompagnent. Pour le moment il y a eu quelques procès mais ce sont les assureurs qui ont gagné. Rappelons que les restaurateurs, bien que leur établissement soit fermé, continuent de payer leurs assurances (autour de 600€ par mois pour les indépendants). Tous les dispositifs mis en place ont le mérite d’apporter un certain niveau d’aide, mais l’ampleur du soutien est limitée par des dispositifs administratifs assez complexes à mettre en place. Tout cela ajoute de la difficulté auprès de gérants qui peuvent être psychiquement impactés par les effets de la crise sur leur vie quotidienne.

En France la restauration est une institution au point qu’en 2010 le « repas gastronomique des Français » a fait son entrée à l’UNESCO en tant que patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Aujourd’hui elle est touchée de plein fouet par une crise sans précédent et en paye un lourd tribut. Protégeons-là !