"Je travaille dans une maison de fous", les meilleurs extraits Changez-moi tout ça !
« Le nouveau patron donna rapidement à comprendre qu'il entendait réinventer la roue. Il ne voyait qu'une chose à tirer du travail de son prédécesseur : une incitation à tout changer. Il venait de la concurrence. C'est dire s'il en connaissait un rayon.
Premier point à l'ordre du jour : les visites de présentations de produits aux entreprises partenaires basées à l'étranger. "Je vois que ces voyages nous coûtent tous les ans une somme à six chiffres, observa-t-il sur un ton suffisant. Vous savez sûrement épeler le mot "vidéoconférence". À partir de maintenant, toutes les présentations de commandes inférieures à 250 000 euros se feront du siège. C'est ce que nous faisions là d'où je viens et ça marchait très bien."
Les collaborateurs protestèrent avec véhémence : comment les clients avec lesquels ils avaient des contacts personnels depuis des années allaient-ils réagir ? Qu'allaient devenir la multitude de PME qui ne disposaient pas des équipements techniques nécessaires ?
"C'est un excellent moyen d'inciter nos clients à augmenter leur volume de commandes, répliqua le nouveau sauveur et ami des entreprises partenaires. Je vous l'ai dit, à partir de 250 000 euros par commande, rien ne s'oppose à une visite sur place. Autre chose : je ne doute pas que ceux qui ne sont pas encore équipés pour la vidéoconférence nous remercieront bientôt de leur avoir rappelé que nous étions au XXIe siècle."
Les collaborateurs n'en revenaient pas. L'entreprise n'enregistrait-elle pas chaque année des bénéfices record ? Et sur quoi reposait ce succès, sinon sur les nombreux clients moyens dont les commandes étaient inférieures à 200 000 euros ? Qu'est-ce que le nouveau patron cherchait, avec cette politique ? (...)
La plupart des nouveaux chefs se surestiment. Ils pensent qu'avant eux, astres descendus du ciel pour notre bien à tous, l'entreprise qu'ils honorent de leur arrivée était quasi en état de mort cérébrale. Pas une idée digne de ce nom, pas de salariés à la hauteur, rien que ruines et désolation.
Mais voilà qu'ils arrivent sur leurs fiers destriers pour sauver in extremis l'entreprise moribonde (malgré ses millions de bénéfices). Ils révèlent alors un comportement bien connu dans le monde animal : ils privilégient leurs bébés, comme un chat va de préférence tuer les petits qui ne sont pas de lui et protéger et choyer sa propre progéniture.
Peu importe qu'un modèle économique ait fonctionné des années, le nouveau patron s'empresse de tout mettre sens dessus dessous pour marquer son territoire. Peu importe que des collaborateurs aient fait et refait leurs preuves, le nouveau patron les relègue au second plan pour placer ses poulains. »