"Je travaille dans une maison de fous", les meilleurs extraits Attention, ça déteint !

« De même que la maladie qui touche le tronc d'un arbre se propage à ses branches, la folie qui règne dans une entreprise contamine immanquablement la vie (privée) des collaborateurs. Laissez-moi m'entretenir dix minutes avec le salarié d'une entreprise quelconque et je vous dis ce qui fonctionne, ou ne fonctionne pas, dans son entreprise, sans que nous n'en ayons à aucun moment parlé explicitement.

en entreprise aussi, la folie est contagieuse.
En entreprise aussi, la folie est contagieuse. © pressmaster - Fotolia.com

J'ai appelé récemment une jeune femme cadre dans une compagnie d'assurances pour convenir d'un entretien. Elle a insisté pour que je lui confirme notre rendez-vous – par courrier, s'il vous plaît, pas simplement par mail ! Ah, me dis-je, elle travaille dans une culture du soupçon, dans ce type d'entreprise où on ne peut prendre de rendez-vous à l'extérieur, dépenser un euro ou changer une cartouche d'imprimante sans un accord écrit de son supérieur.

J'avais vu juste. Cette femme travaillait depuis plus de dix ans dans l'entreprise, qui avait pignon sur rue. La direction présentait tous les signes de délire obsessionnel. Convaincue que le personnel prenait l'endroit pour un lieu de villégiature et se comportait en conséquence, elle exigeait de tous les supérieurs directs qu'ils passent les salariés au "rapport" à intervalles rapprochés. Le but de l'opération était d'obtenir une image exacte de la charge de travail de chacun et de repérer ceux dont on pourrait éventuellement se passer.

Chacun dans cette entreprise travaillait sous la pression de devoir justifier son poste. Ma cliente en était arrivée à rédiger un "compte rendu de travail" par jour. On aurait dit des rédactions niveau CE1 sur le thème "ma journée au bureau" : "8 h 30 : mis l'ordinateur en route, pointage des mails reçus. 7 plaintes de clients. Répondu en premier à..."

C'était la façon de "se couvrir" que lui avait inculquée son supérieur afin qu'il puisse à son tour démontrer à son propre supérieur que le personnel sous ses ordres travaillait à plein régime.

Les formalités infantilisantes allaient plus loin : dès qu'elle accordait un rabais, ce qui était un geste commercial usuel, elle imprimait les mails échangés, tapait un compte rendu des discussions et joignait les offres comparables des entreprises concurrentes au dossier qu'elle glissait dans le parapheur. Son supérieur ne signait rien et ne donnait donc pas son accord à l'opération tant que ce filet de protection n'était pas tendu.

Conséquence absurde du délire de persécution du management de l'entreprise : du travail, les salariés en avaient plus qu'à leur tour, sauf qu'ils passaient une bonne partie de leur temps, non pas à s'occuper des clients, mais à faire de la paperasse pour se justifier.

La fin de notre entretien de conseil devait me réserver une autre surprise. Ma cliente a ouvert son sac à main, sorti son porte-monnaie et fait mine de me payer en espèces. "Mais comment pouvez-vous être sûr de récupérer votre argent ?" répliqua-t-elle à mon refus, stupéfaite d'apprendre que j'allais lui envoyer une facture. En dix ans dans l'entreprise, on ne devait jamais lui avoir témoigné autant de confiance...

L'absurde obsession de sécurité de sa direction avait déteint sur elle et commencé à grignoter sa raison, mais à l'évidence elle avait compris que cette culture du soupçon la détruisait, puisqu'elle cherchait un nouvel employeur. »