«La CNIL est un ennemi de la Nation» Diantre !

Opposer développement du numérique et préservation de la vie privée constitue un sophisme qui prêterait à sourire, s’il n’était gravissime, alors que nous avons tant besoin de développer une pédagogie active et constante auprès de nos concitoyens et de nos élus.

Ainsi donc, le salut de la révolution numérique, avec ses effets sur le développement de nos économies, viendrait-il du nécessaire abandon de tout contrôle sur l’utilisation des données personnelles collectées.

Et pour clore le raisonnement, les institutions chargées de ce contrôle seraient tout simplement des « ennemis de la Nation » et  l’instrument d’un Etat « hypercentralisé » manipulé et dominé par des « archéo-rétrogrades » face à une « société civile qui veut moderniser le pays ».

Simpliste et manichéenne, la charge est violente, d’autant plus qu’elle vient d’un représentant du numérique auprès des instances européennes, nommé par le gouvernement français.

Chacun sait, le sent et le vit, Internet est une formidable aventure collective qui ouvre des champs infinis tant il démultiplie nos capacités d’accès à la connaissance, à l’échange, et au bien-être dans notre vie quotidienne. Education, Santé, Modernisation de l’Etat, Nouvelle Economie, Relations Etat-Citoyens, et dans bien d’autres domaines encore, Internet et le numérique constituent maintenant  le ressort essentiel du fonctionnement de nos sociétés démocratiques.

Ce Nouveau Monde porte naturellement en lui-même ses dangers pour le citoyen, dont la nature n’a pas vraiment changé, mais dont l’impact et les conséquences peuvent être dramatiques. Nous avons tous à l’esprit les multiples exemples de cyberlynchage, cyberterrorisme, atteinte à l’intégrité des enfants, usurpations d’identité, fraudes au paiement électronique, espionnage à des fins politiques et/ou mercantiles, …

Les plus grands acteurs économiques de l’Internet se sont développés en donnant la possibilité aux milliards d’êtres humains de la planète d’avoir accès à ce nouveau monde sans condition, gratuitement, mais bien avec des contreparties que sont les données que l’on communique, consciemment ou inconsciemment, sur notre vie et plus profondément sur qui nous sommes. Ces données personnelles sont naturellement « monétisées ».

Cette forme moderne de troc est un progrès tant cela a permis,  en un temps record, à chacun et chacune d’entre nous d’avoir accès à ce formidable potentiel que représente Internet dans tous les aspects de notre vie, quel que soit notre âge, notre sexe, race ou religion.

Encore faut-il que ce troc ne soit pas tronqué et que l’échange soit réalisé sur des bases claires, non discutables et équilibrées, et ce d’autant plus qu’il porte, du côté de l’utilisateur, sur une donnée essentielle : sa vie personnelle et ce qu’il est, ce qu’il pense, ce qu’il fait,…

La clarté et la transparence des conditions de ce troc, les « termes de l’échange », constituent donc un élément essentiel de l’équilibre de cet « échange ». C’est d’ailleurs aussi une aspiration de plus en plus marquée des internautes. Nous sommes tous informés des pertes considérables d’influence et de trafic qu’ont connu, et que connaissent, certains acteurs dont les comportements en termes de privacy et de transparence dans l’utilisation des données acquises, ne correspondent plus aux attentes de leurs utilisateurs.

Cette tendance est encore plus nette chez les parents d’enfants jeunes qui font partie de cette génération des « digital natives » dont la « protection » est aussi un véritable enjeu de société.

De nombreux internautes ont pris conscience des risques potentiels d'un partage sans frein de leurs données personnelles. Une enquête publiée en juin 2011 par TNS Opinion & Social indique que deux Européens sur trois craignent que les entreprises s'échangent leurs données à caractère personnel sans leur consentement.

Internet a permis la création d’une véritable « économie de la donnée » structurée autour des moteurs de recherche, réseaux sociaux ou plates-formes qui analysent finement ces profils et ces données pour les monétiser auprès de tiers. Par ailleurs, l’évolution du Cloud Computing accélère le transfert de données hors les murs de l’entreprise, de son domicile ou des services publics. Côté utilisateurs, on constate que des millions de personnes n’hésitent pas à exhiber leur vie privée sur internet… Mais à la stricte condition - tacite - de garanties élevées de confidentialité. Ce « privacy paradox » appelle donc un compromis innovant qui permettrait de dessiner une nouvelle frontière du numérique.

L’accélération du développement du numérique, qui est une vraie chance pour nos économies, passe donc nécessairement par un équilibre entre ces aspirations en apparence contradictoires. Tout le monde s’accorde sur l’importance de cette « confiance numérique », source de sécurité pour l’internaute. Un internaute « sécurisé » est sans aucun doute le meilleur vecteur de diffusion de ces nouvelles formes de vie, sociétale et économique, que permet Internet. Cette confiance numérique implique naturellement des règles et des instances reconnues, modernes, conscientes des enjeux de ce nouveau monde, pour les contrôler, et parfois les définir.

De nombreux acteurs du numérique soulignent le besoin de coopération et d’un dialogue permanent avec les autorités de contrôle, notamment dans la perspective de réorganisation du rôle de ces autorités en Europe que porte le projet de réforme européen. Les récentes déclarations de la CNIL en faveur d’une régulation des données personnelles au service d'une véritable "éthique du numérique" reçoivent un écho favorable. Certains d’entre eux  accueillent même positivement le souhait de la CNIL de travailler avec des « relais » pour encourager les entreprises à utiliser les outils de protection des données : codes de bonne conduite, bonnes pratiques, chartes, labels, packs de conformité, correspondants informatique et libertés.

C’est en progressant sur ce chemin de l’équilibre que le numérique se développera, créant ainsi les richesses personnelles et économiques que nous connaissons déjà, et celles qui restent encore insoupçonnées. Nous sommes loin de l’équation lapidaire « Pas de régulation = 2 millions d’emplois créés en cinq ans ». Et même si cela était vrai, que deviendrait la démocratie dans un monde où l’internaute, dépossédé de lui-même, serait à la merci de toutes les déviances, notamment politiques ?