Vous avez dit "start-up nation" ?

La loi de finances pour 2023 pourrait adopter la suppression des frais de sous-traitance du calcul du crédit impôt innovation (CII). Une décision qui pénaliserait lourdement de nombreuses start-up.

Depuis une dizaine d’années, l’élan entrepreneurial d’une génération de Français en quête de réalisation de soi, combiné à un fort volontarisme politique, ont accouché d’une French Tech féconde, attractive et mieux capitalisée. Il faut s’en féliciter mais aussi souligner le chemin important qui reste à parcourir pour renouveler en profondeur une économie française que l’on souhaite plus vigoureuse, plus responsable et tendue sur la résolution des grands défis de notre temps.

Maintenir la trajectoire ne pourra pas se faire si l’effort est relâché. Et l’attention doit être portée à tous les étages : l’hypercroissance et l’abondance de capitaux oui, mais aussi la continuité des soins apportés à l’émergence des jeunes pousses. A ce titre, le projet de supprimer les frais de sous-traitance du calcul du crédit impôt innovation (CII) de la loi de finances 2023 interpelle. Une décision à la fois injuste et qui pénaliserait durement les jeunes pousses. Explications.

Ces derniers mois plusieurs rapports ont vu le jour pour rendre compte de l’efficacité de nos aides à l’innovation. Si le crédit impôt recherche (CIR) a pu faire l’objet de critiques (on lui reproche notamment de profiter trop largement aux grands groupes chez qui l’effet de levier en matière d’investissement R&D reste timide…), le crédit impôt innovation (CII), réservé aux TPE/PME innovantes, est quant à lui salué pour ses vertus.

Le CII permet de récupérer 20% des dépenses liées à la conception d’un produit ou d’un logiciel nouveau sur son marché. Il finance aujourd’hui près de 10 000 entreprises par an qui récupèrent en moyenne 30 000 euros. Son impact est important car les bénéficiaires présentent un meilleur chiffre d’affaires, recrutent davantage et sortent plus de nouveaux produits que des PME similaires qui passent à côté du dispositif (cf "Évaluation du crédit d’impôt innovation français" menée par la Banque de France - septembre 2022). 

Parmi les dépenses éligibles au CII, on retrouve les dépenses de personnel bien sûr, mais également les frais de sous-traitance si l’entreprise fait appel à un prestataire agréé. La valorisation de ces frais de sous-traitance est primordiale pour les jeunes pousses. Car il faut bien avoir conscience que lorsqu’une start-up se lance, et au moins pendant les deux premières années de vie qui précèdent une levée de fonds ou une traction commerciale suffisante, elle n’a pas les moyens financiers, ni même d’ailleurs le besoin, de recruter des salariés à temps plein pour mener des études de faisabilité technique, du développement logiciel, ou réaliser des prototypes. Les start-up font donc souvent appel à des prestataires : des sociétés constituées mais aussi des freelances, de plus en plus nombreux à tourner le dos à la condition de salarié, ce qui complexifie encore un peu plus le recours à des salariés pour celles qui en auraient les moyens.

Les résultats de l’étude OpinionWay conduite en 2021 pour le compte de SELF & INNOV sont éloquents : ce sont aujourd’hui 44% des PME innovantes qui sollicitent des prestataires dans le cadre de leurs projets d’innovation. Concrètement, cette suppression des frais de sous-traitance du CII représenterait un sacré coup de rabot pour les start-up et se traduirait par une baisse des innovations "made in France" mises sur le marché.

Mais les PME et les start-up ne seraient pas les seules victimes dans cette affaire. Il y a également les 1804 entreprises agréées CII qui ont fait l’effort de monter un dossier documenté d’une dizaine de pages pour obtenir ce label, afin justement de permettre à leurs clients de récupérer 20% de leurs factures en crédit d’impôt innovation. Un agrément, il est bon de le rappeler, délivré pour une durée de 5 ans. Les prestataires qui viennent de l’obtenir apprécieraient particulièrement de voir les règles changer en cours de partie…

Si les frais de sous-traitance disparaissaient alors l’agrément CII n’aurait plus aucune utilité. Ces 1804 sociétés perdraient donc un atout commercial important et verraient leur attractivité sérieusement se dégrader. L’agrément était notamment pour elles un bon moyen de rester compétitifs face aux prestataires étrangers. Car oui ce n’est pas un scoop, il coûte plus cher de passer par une ESN française plutôt que par des développeurs localisés dans des pays à bas coût de main d’œuvre.

Remettre en cause la prise en compte des frais de sous-traitance dans le CII, ce n’est donc pas seulement fragiliser le développement des start-up, c’est aussi favoriser la délocalisation de prestations de services et la perte de savoir-faire français. Joli programme !