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23/03/2005

Par Eric Seulliet (E-Mergences)
Aux "clones", l'innovation préfère les "clowns"

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  E-Mergences

La conception de l'innovation semble actuellement à un tournant. Tel est l'enseignement principal d'une vaste enquête menée auprès de nombreux acteurs de terrain (entreprises, experts, consultants, universitaires, sociologues, etc.) pour les besoins de l'écriture du livre Fabriquer le futur. En quoi consiste cette mutation et quels sont ses impacts sur l'entreprise et le management ?

L'évolution de l'innovation
Traditionnellement, l'innovation a d'abord été pilotée par la R&D. Mais cette approche "techno-push" a rapidement montré ses limites, le "tout techno" ne faisant plus vendre. Alors est venue l'ère du marketing-roi où l'innovation est tirée par les marchés. Mais ce type d'innovation débouche très rarement sur des innovations de rupture.

Obéir aux diktats des études de marché et autres gourous des tendances aboutit inéluctablement à l'uniformisation de l'offre et à son appauvrissement. Les entreprises les plus en pointe actuellement hybrident le "techno-push" et le "market-pull" grâce à un processus itératif entre ces méthodes. C'est dans cette nouvelle génération d'innovation qu'intervient la notion d'imaginaire.

L'apport de l'imaginaire dans les processus d'innovation
"On ne peut comprendre le réel qu'à partir de l'irréel" : à cette affirmation de Max Weber, font curieusement écho celles de Pablo Picasso, "Tout ce qui peut être imaginé est réel", et du physicien Bernard d'Espagnat, "L'imaginaire est un réel voilé". Le monde des arts, ceux de la science et de la philosophie, se rejoignent donc pour considérer que l'imaginaire n'est que du réel en puissance. Pour inventer les produits et services de demain, les voies sont souvent plus ouvertes qu'on ne le croit au départ. Le futur se fabrique au quotidien avec les ingrédients de base que sont l'imaginaire, le rêve et une pincée d'intuition.

C'est ce qu'ont compris des entreprises aussi diverses que Philips, Thomson, HP, Kenwood, Electrolux, Décathlon, Dyson, Smoby, EDF, 3M, France Télécom,…(pour ne citer que quelques exemples d'entreprises). Celles-ci ont en commun la volonté de remettre le client au cœur même de leur processus d'innovation.

Ce processus peut se schématiser en cinq phases :
1. Observer, étudier, veiller, analyser, les clients, les marchés, les tendances
2. Générer des concepts d'offres
3. Illustrer, scénariser, maquetter, prototyper, simuler
4. Tester, confronter au réel
5. Prioriser les concepts, sélectionner en vue d'implémenter

Comment capter au mieux l'imaginaire des consommateurs"

Dans cette conception de l'innovation, l'imaginaire est un levier clé, qu'il émane des acteurs de l'entreprise ou de ses clients. En entrant en résonance, ces imaginaires déclenchent des interactions profondes qui vont nourrir l'innovation de produits et services. Mais comment capter au mieux l'imaginaire des consommateurs ? Et comment développer et entretenir en interne l'imaginaire des collaborateurs ? Voilà deux défis que cette nouvelle conception de l'innovation demande à relever.

Lorsque l'entreprise sait percevoir derrière le client un être humain ayant une vie au-delà de ses actes de consommation, tout devient beaucoup plus riche. L'imaginaire qui compte n'est plus celui des papiers glacés des magazines ni celui des écrans uniformes de télévision, mais celui qui se nourrit des vies, désirs, expériences de personnes vraies.

Appréhender l'imaginaire des citoyens-consommateurs
L'apport des sciences humaines. Une avancée majeure de ces dernières années pour mieux appréhender le consommateur dans toutes ses dimensions est incontestablement le recours aux sciences humaines. Le mot d'ordre nouveau est "observons le consommateur et regardons le vivre !".

Les marques ont tout intérêt à monter d'un cran au-dessus"

L'importance des valeurs. Fait nouveau également : des actes d'achat, des comportements, des styles de vie sont certes intéressants à étudier et à comprendre. Mais tout cela n'est finalement que la résultante de valeurs et motivations profondes qui animent un individu. Dès lors, les marques ont tout intérêt à monter d'un cran au-dessus des apparences pour mieux comprendre les personnes.

La prise en compte des avant-gardistes. Dans tout groupe humain, les individus prennent exemple sur des personnes référentes. C'est ainsi que les marques les plus innovantes témoignent d'une attention particulière à l'égard de certaines catégories de consommateurs avant-gardistes.

Vis-à-vis des collaborateurs
L'imaginaire des collaborateurs se nourrit des valeurs, inscrites dans ses gènes, et qui ont peu à peu infusé l'inconscient collectif de l'entreprise. Il est capital d'être conscient des fondements de cette culture commune mais tout autant de permettre aux individualités de s'exprimer. Le terreau de l'innovation et de la créativité s'accommode en effet mal de l'uniformité. Aux "clones", l'innovation préfère les "clowns" qui savent apporter points de vue décalés, créatifs, voire iconoclastes.

L'entreprise ne doit plus être organisée en silos"

Pratiquer la pluridisciplinarité et la transversalité. Compartimenter les fonctions est le meilleur moyen de les scléroser. L'entreprise innovante fait travailler ensemble les équipes, notamment celles des fonctions traditionnelles de conception que sont la R&D, le Marketing et le Design. L'entreprise ne doit plus être organisée en silos séparés mais s'organiser autour de groupes de projets pratiquant l'intelligence collective.

Une entreprise impliquée, citoyenne, ouverte sur le monde. L'entreprise innovante a comme caractéristique majeure de ne pas être repliée sur elle-même. Elle fonctionne avec des équipes élargies, en réseau, mettant à contribution toutes ses parties prenantes. Pour être en phase avec son époque et comprendre ses consommateurs, l'entreprise doit elle-même être impliquée, c'est-à-dire avoir elle-même un vrai "pro-jet" qui constitue le cœur de sa mission. C'est une entreprise à l'écoute des problèmes de la société et qui a une réponse à y apporter. Elle pratique pour cela une vraie prospective et est consciente de ses actes. Elle est naturellement empreinte des valeurs du développement durable.

En savoir +

Ainsi c'est par l'hybridation et l'interaction entre les imaginaires d'un vaste réseau d'individus que l'entreprise, tout en étant fidèle à elle-même et à sa vocation propre, pourra le mieux contribuer à inventer des produits et services réellement novateurs et utiles au mieux-être et au mieux-vivre des Hommes. La réhabilitation de l'imaginaire sous toutes ses formes devient une tâche urgente pour les entreprises.

Parcours

De double formation HEC et sociologie, Eric Seulliet est le fondateur et l'animateur de E-Mergences, une société de conseil en prospective et innovation réunissant un vaste réseau pluridisciplinaire d'experts et de prestataires, et dont la vocation est d'aider les entreprises à imaginer et concevoir les produits et services du futur. Eric Seulliet a co-écrit, avec Pierre Musso et Laurent Ponthoue, Fabriquer le futur, l'imaginaire au service de l'innovation (Village Mondial, janvier 2005 >>> Consulter les librairies).


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