Amaury Bessard (OFTT) : "Les think tanks sont utiles à notre démocratie qui semble en perte de vitesse"

Bien implantés dans le paysage institutionnel anglo-saxon depuis la fin du XIXème siècle, les think tanks ont fait leur apparition en France il y a tout juste trente ans. Fondations indirectement liées à des partis politiques ou structures s'appuyant sur les entreprises, les think tanks se veulent des pôles de recherche en idées nouvelles et en solutions politiques. Amaury Bessard est le président de l'Observatoire français des think tanks, une association de jeunes diplômés et chercheurs bénévoles qui a décidé d'étudier le phénomène pour comprendre la place qu'il prend dans notre démocratie. Il répond aux questions de nos lecteurs.

Quel but l'observatoire français des think tanks s'est-il fixé ?

Amaury Bessard. Comme son nom l'indique, l'Observatoire français des think tanks (OFTT) s'est donné pour mission d'analyser ces organisations, leur histoire et leur environnement dans un premier temps. Dans un second temps, il est question de diffuser auprès du grand public et des leaders d'opinion l'ensemble de ces informations de la manière la plus accessible possible.

Quels sont vos projets ?

Nous avons tout d'abord un important projet éditorial : Think. C'est un magazine d'une trentaine de pages destiné au grand public et accessible gratuitement sur notre site Internet. Il présente les think tanks sous différents angles : une partie "monographie", des interviews, des portraits, des lectures. Nous essayons toujours d'y insérer une ouverture internationale. Nous avons étudié le Japon, la Russie, l'Inde et nous tentons de comprendre comment fonctionnent les think tanks à l'étranger.

Nous utilisons également notre site Internet pour diffuser l'ensemble de nos études et réagir à certaines actualités. Le site propose des notes de synthèse, dénommées "bulles", qui s'intéressent aux think tanks étrangers, à la veille presse et à quelques réflexions de nos membres. Notre observatoire est régulièrement sollicité pour participer à des conférences ou pour aider des chercheurs et des étudiants dans leurs travaux. Nous essayons de leur apporter tout le soutien que nous pouvons.

Quels sont les think tanks les plus influents en France et aux Etats-Unis ?

Avant de répondre à la question, je souhaite introduire l'idée que l'influence des think tanks est relative selon le pays. Il est très difficile de mesurer et de comparer l'influence des think tanks d'un pays à un autre. Concernant les Etats-Unis, certains think tanks ont une réputation planétaire : je pense à la Rand Corporation, à la Carnegie, au Cato Institute, à la Brookings Institution ou encore au PNAC ou à la Heritage Foundation. En France, les think tanks les plus "influents" sont de deux natures. D'abord, les fondations liées à un parti politique : Fondapol (UMP), Fondation Jean Jaurès (PS), Fondation Gabriel Péri (PC), Fondation Robert Schuman (UDF), etc. Ensuite les think tanks plus indépendants des structures politiques et plus proches des milieux économiques ou des intellectuels : l'Institut Montaigne, la République des Idées, l'IFRI, l'IRIS, L'Institut de l'Entreprise, Confrontations Europe, etc.

Pourquoi, selon vous, les Anglo-Saxons sont-ils précurseurs dans ce domaine ?

Vous avez raison, le monde anglo-saxon est initiateur de la mouvance think tanks. Cet état est certainement induit par la culture et le système politique qui caractérisent l'univers anglo-saxon. A titre d'exemple, le système de renouvellement des cadres administratifs américains (spoil system) favorise la circulation des personnalités entre les think tanks et le département d'Etat. Ainsi les think tanks sont compris comme des réservoirs d'idées et d'individus. Ils allient ainsi la phase intellectuelle de production de la connaissance et la phase opérationnelle de mise en œuvre et d'évaluation des politiques publiques. Un autre paramètre à prendre en compte pour la France est le caractère central de l'Etat qui dispose d'un magistère traditionnel sur l'expertise politique. La formation de ses élites, le concept de cabinet ministériel, la méfiance (voir la défiance) de l'opinion vis-à-vis des parties prenantes privées peuvent également contribuer à cette différence entre Français et Anglo-Saxons. Enfin, les Anglo-Saxons ont une culture du lobbying prononcée. L'intérêt général se crée en fonction de la confrontation des intérêts particuliers. En France, cette notion est encore mal comprise, mal perçue ou tout simplement pas admise.

Des think tanks puissants servent-ils la démocratie, ou ne contribuent-ils pas plutôt à faire valoir les intérêts des puissants qui les financent ?

Question très intéressante car elle constitue le fond de notre problématique. Les think tanks, alliés ou ennemis de la démocratie ? Trancher cette question serait simpliste. Les think tanks contribuent d'une part à informer le citoyen de la décision publique et à alimenter le politique avec une vision de la société civile. Il sert de relais et de médiateur entre les deux. A ce titre, ils sont utiles à notre démocratie qui semble en perte de vitesse. Je vous invite à lire avec attention l'article d'Emilie Johann dans Think 2 qui pourra vous apporter un éclairage structuré. Concernant les puissants qui les financent, il est utile de préciser que tous les think tanks ne sont pas financés par les mêmes sources. Je vous accorde que le but de certains puissants comme vous les nommez n'est pas que philanthropique. De là à conclure que les think tanks ne représentent qu'un simple relais de ces intérêts...

Quelle différence entre un think tank et un lobby ?

Un think tank, pour être concis, est une organisation dont la production et la diffusion de solutions innovantes de politiques publiques constituent les principales activités. Un lobby peut s'attribuer ces activités mais son rôle consiste avant tout à défendre un intérêt prédéterminé. Cependant, les think tanks et les lobbies évoluent dans les mêmes milieux d'influence et de décision. Selon moi, un think tank regroupe une majorité de chercheurs, ce qui n'est pas le cas d'un lobby.

Considérez-vous les loges maçonniques comme des think tanks ? N'en sont-elles pas un peu les précurseurs ?

Cette question nous revient régulièrement. Les loges maçonniques n'ont pas pour objet de diffuser de l'information. Par ailleurs, ces membres agissent comme "frères" et non comme chercheurs. Enfin, ils travaillent sur des questions plus larges que les politiques publiques. Ils ont une approche globale de la société. Mais vous avez raison, ils contribuent aussi à la production de connaissances nouvelles en France.

Qui adhère aux think tanks et pourquoi ?

En France, les think tanks se composent de grandes figures intellectuelles, de capitaines d'industrie, de hauts fonctionnaires, de personnalités de la société civile (ONG, associations, syndicats, etc.), d'hommes et de femmes politiques. Il est important de souligner qu'il ne s'agit pas d'une adhésion comme dans une amicale sportive. La plupart des think tanks français procèdent par cooptation. Pourquoi ils adhèrent aux think tanks ? La question amène autant de réponses qu'il y a d'individus. La motivation est personnelle. Certains d'entre eux jugent l'Etat défaillant dans la proposition de nouvelles idées, d'autres veulent absolument faire partager leur point de vue. Il n'existe pas de règle.

Comment les think tanks se financent-ils ?

De la même façon, il n'y a pas de règles communes à l'ensemble des acteurs. Nous pouvons distinguer quatre principales ressources : les fonds propres (publications, abonnements, cotisations, etc.), les contrats signés avec les organismes d'Etat (CAS du Premier Ministre, DAS du ministère de la Défense, CAP du ministère des affaires étrangères), les partenariats signés avec des entreprises, et le mécénat. Les think tanks les mieux dotés en France disposent d'une base publique importante. Certains think tanks refusent catégoriquement de recevoir des subventions publiques et s'alimentent uniquement auprès des grandes entreprises.

Quel rôle les think tanks ont-ils joué dans la campagne présidentielle ? Certaines idées fortes des candidats à la présidentielle ont-elles été apportées par des think tanks ? Lesquelles ?

Certains think tanks ont joué un rôle d'agitateur médiatique lors de la campagne présidentielle. L'Institut de l'Entreprise a mis en place un site Internet pour évaluer le budget des programmes de chaque candidat. Cette thématique fut largement débattue dans la presse. Mais, le débat s'est concentré sur les moyens et non sur les idées. L'Institut Montaigne a diffusé des programmes courts sur TF1 pour expliquer ses idées. En ce qui concerne les idées contenues dans les programmes, il est difficile de "sourcer" précisément chaque nouvelle idée mais il est évident qu'une partie de leurs propositions a fait l'objet de dialogue avec leurs experts. Nous travaillons actuellement à comparer les programmes des candidats avec les rapports des think tanks pour établir des liens et analyser leur influence. C'est un travail long et minutieux qui devrait éclairer le débat sur la question de la véritable influence des think tanks.

Quels sont les think tanks les plus proches du nouveau pouvoir ?

Par nouveau pouvoir, je devine que vous voulez parler de la sarkosphère. Quelques experts de la Fondapol et de la Fondation Concorde devraient recevoir un accueil ouvert de la part de l'Elysée. Cependant, et vous l'aurez constaté, l'Elysée cherche à créer une ouverture. Cette dernière ne peut passer que par un dialogue libre et ouvert avec des think tanks plus éloignés de leurs idées de base. A voir...

Quel est le périmètre de vos études ? France ? Etranger ?

Concernant la France, nous ouvrons actuellement une nouvelle piste de réflexion : les think tanks sont-ils indispensables au fonctionnement de notre système ? Nous analyserons alors les idées qui "viennent de la rue" ou des "forums sociaux". A titre personnel, je travaille sur l'évolution des formes d'expression des intellectuels des Lumières aux think tanks modernes. Enfin, nous commençons à réfléchir sur l'impact des think tanks sur certains publics (les députés, les syndicats, etc.). Concernant l'étranger, nous préparons un hors série de Think sur les think tanks en Europe. Vous découvrirez cette étude en fin d'année.

Quel a été le premier think tank créé en France ?

Le premier think tank apparenté comme tel pourrait être le Club Jean Moulin. Cependant, de nombreux experts s'accordent à dire que la Fondation Saint-Simon constitue le premier think tank moderne véritablement influant (1982-1999). Personnellement, je pense à l'IFRI créé en 1979. L'IFRI travaille sur les questions internationales et est considéré comme l'un des principaux think tanks français en activité, au regard de ses publications et de son budget. Sinon, le premier think tank moderne est britannique : la Fabian Society. Elle existe depuis 1884, ce qui illustre le décalage de cultures évoqué tout à l'heure.

Votre observatoire entretient-il des relations privilégiées avec certains think tanks ?

Nous nous donnons comme objectif une neutralité de fait. L'OFTT est composé d'individus aux idées parfois divergentes mais cela ne nous empêche pas de travailler ensemble. L'idée étant de délivrer une information impartiale, régulière et de qualité, à nos lecteurs. Nous sommes ouverts à toute critique, il se peut que nous ne nous apercevons pas de certains de nos travers. En ce qui concerne les relations avec les think tanks, l'OFTT a ouvert le dialogue avec la plupart des acteurs en France, quelles que soient leur appartenance ou leurs convictions.

Comment faire pour faire partie de votre observatoire ?

Très facile. Il suffit de nous contacter via notre site Internet pour nous proposer votre aide, votre expertise. Ensuite, nous regardons quels sont les champs envisageables et nous vous les soumettons. Nous recherchons activement des personnes issues de la recherche universitaire car nous sommes sur le point de constituer un véritable pôle de recherche scientifique. Le secrétariat général se charge de ces questions.

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