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INTERVIEW
22/02/2004
Nicole Notat (Vigeo)
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De sa fenêtre, Nicole Notat a l'il sur la pollution parisienne. Situé au 28ème étage de l'une des tours Mercuriales à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), son bureau la place aux premières loges. L'ancienne secrétaire générale de la CFDT dirige aujourd'hui Vigeo, l'agence de notation sociale et environnementale qu'elle a créée en juillet 2002. Une autre position privilégiée, qui lui permet cette fois d'avoir l'il sur l'essor du développement durable en France.
Quelle est votre définition du "développement
durable" ?
Nicole Notat. Ce n'est pas ma définition, mais la définition officielle,
donnée en 1987 par le rapport Brundtland de la Commission des Nations unies
sur l'environnement et le développement. Il s'agit de la capacité des générations
actuelles à satisfaire leurs besoins sans compromettre la capacité des générations
futures à satisfaire les leurs. Cette définition invite à réconcilier le court
terme et le long terme. La satisfaction des besoins touche à la fois à la
santé, l'éducation, l'économie, le développement
On est au cur des retombées
sociales et sociétales de l'économie. Ce qui donne de la consistance à ce
concept, ce sont ceux qui agissent en son nom, par exemple les pouvoirs publics
ou les entreprises.
Où la France se situe-t-elle
en matière de développement durable par rapport à d'autres pays
?
Les pays nordiques ont été en avance sur ce concept, en particulier pour les
aspects environnementaux. Mais en France, la prise de conscience a fortement
progressé depuis deux ans, de la part des pouvoirs publics, mais aussi des
entreprises et des consommateurs.
Est-ce un effet de mode ?
Il y a bien sûr un effet de mode, ce qui implique des risques de confusion
sur le concept et des risques d'illusion sur ce qu'il peut générer. Pour l'entreprise,
le développement durable a aujourd'hui une relation avec sa réputation. Son
premier réflexe est dès lors de s'afficher responsable et citoyenne, de commencer
par faire de la communication. Mais si cette communication ne s'appuie pas
sur une action concrète et réelle, elle peut rapidement se retourner contre
l'entreprise elle-même. A mon avis, à long terme, une entreprise ne peut pas
faire de la responsabilité sociale qu'à travers la communication.
Une politique de développement durable génère des économies" |
Quelles sont les forces qui poussent les entreprises
vers le développement durable ?
Aujourd'hui, l'entreprise est pressée d'agir dans cette direction par de nombreux
acteurs. L'opinion publique est sensible aux grandes causes écologiques, au
respect des droits de l'homme, à la lutte contre la corruption. Elle est capable
de susciter des campagnes médiatiques à fort impact. Les pouvoirs publics
prennent une place de plus en plus importante parmi les forces de pression,
notamment par des dispositions législatives et réglementaires. La loi des
Nouvelles régulations économiques (NRE) qui créé l'obligation de publier un
rapport de développement durable a été un accélérateur de la communication
et, dans la foulée, de l'action. Les investisseurs constituent aussi une source
de pression. Les entreprises ont le souci d'accéder au marché de l'investissement
responsable. Enfin, l'entreprise elle-même agit en faveur du développement
durable après l'appréciation du risque qui serait le sien si elle négligeait
son action dans tel ou tel domaine.
Le développement durable peut-il être une source
de plus grande rentabilité ?
Le premier réflexe des entreprises qui abordent la question est de mettre
en évidence le coût du développement durable. Mais la négligence en la matière
n'a-t-elle pas aussi un coût ? Le prix de la négligence est sans doute supérieur
à celui de l'engagement. Si l'entreprise est prise à défaut, elle peut être
sanctionnée par une amende, un procès ou encore une mauvaise réputation qui
peut influencer l'acte d'achat du consommateur. Par ailleurs, une politique
de développement durable génère des économies, par exemple d'énergie. Enfin,
elle peut fournir un élément de différenciation et donc de compétitivité.
Observez-vous un intérêt croissant des dirigeants
pour le développement durable ?
L'année dernière, de nombreux dirigeants se sont rendus au sommet
de Johannesburg sur le développement durable, et environ 230 entreprises
ont adhéré au Global Compact. La sensibilisation des dirigeants est en forte
hausse depuis dix-huit à vingt-quatre mois. Certains sont sceptiques, d'autres
convaincus. Mais peu échappent à la question.
Le concept n'est pas réservé aux grandes entreprises" |
Le développement durable va-t-il
devenir un enjeu pour le recrutement des entreprises ?
Les entreprises qui veulent attirer des cadres devront être plus sensibles
au développement durable. De plus en plus de jeunes sortant des universités
ou de grandes écoles s'intéressent à la pratique des entreprises dans ce domaine,
quand ils peuvent choisir leur emploi.
Cette nouvelle génération ne va-t-elle pas rentrer
dans le moule et perdre ses idéaux ?
Non. Les pressions en faveur de l'action viennent de plus en plus de l'extérieur
et je ne pense pas que cela soit conjoncturel.
Les PME sont-elles aussi concernées par le développement
durable ?
Cela dépend des PME et de la nature de leur activité. Mais j'observe que certaines
se préoccupent aussi de ces questions. Les grandes entreprises sont plus exposées
du fait de la mondialisation. Elles forment une locomotive, mais ce concept
ne leur est pas réservé. Enfin, les petites et grandes entreprises sont en
relation d'affaires, ce qui génère un effet d'entraînement qui peut tirer
les PME dans le même sens.
Vigeo a pour actionnaires des financiers comme
Eulia, des syndicats comme la CFDT, et des entreprises comme Accor, Carrefour
ou encore Total. Comment avez-vous convaincu ces actionnaires ?
Avant de créer Vigeo, j'ai d'abord testé mon intuition. Je sentais que les
entreprises seraient de plus en plus tenues d'être responsables, qu'elles
devraient informer et rendre des comptes en garantissant leur objectivité,
ce qui implique une évaluation extérieure. J'en ai parlé à des dirigeants
d'entreprises, des financiers et des institutionnels. Ils ont confirmé que
ce besoin était réel et croissant. Certains ont apporté des capitaux pour
assurer la création de l'agence.
Comment garantissez-vous votre indépendance
vis-à-vis de vos actionnaires ?
Notre indépendance est garantie par la diversité des soixante actionnaires
et par leur pluralisme. Nous comptons parmi nos actionnaires aussi bien des
entreprises, que des syndicats et des financiers. Chaque catégorie a trois
membres au conseil d'administration, quelque soit son poids capitalistique.
Nous bénéficions également de l'expertise d'un conseil scientifique composé
d'universitaires, qui n'a aucune relation avec Vigeo, ni avec ses actionnaires.
Ce conseil étudie de près nos méthodologies et a un regard sur l'indépendance
de nos notations.
Un jour, pourquoi pas, nous solliciterons une notation" |
Sur quels principes fondez-vous
ces méthodologies ?
Nos méthodes reposent sur des références opposables, c'est-à-dire légitimes
et universelles pour toutes les entreprises. Des organismes comme l'OIT (Ndlr
: l'Organisation internationale du travail), l'OCDE, l'ONU ou la Communauté
européenne nous fournissent les bases de ce référentiel. Ensuite, la robustesse
signifie que notre méthode est suffisamment solide pour qu'elle ne laisse
place à aucune subjectivité, à aucun parti pris. La dernière caractéristique
est la transparence. Nous présentons notre méthodologie à nos clients et au
grand public.
Que pensent les entreprises de ces principes
?
Les entreprises sont rassurées de voir que nos référentiels sont légitimes
et non arbitraires.
Et comment obtenez-vous des informations fiables
pour établir la notation ?
La qualité de nos notations dépend bien sûr de la quantité et de la qualité
de nos informations. Nous cherchons à collecter un maximum de données émanant
de plusieurs sources : l'entreprise, la presse spécialisée, les syndicats,
les ONG
Il est fréquent que les informations ne convergent pas toutes dans
le même sens. Parfois, l'analyste repère rapidement où est la véracité de
l'information. Lorsqu'il n'y parvient pas, il questionne à nouveau l'entreprise
et éventuellement une partie prenante pour se faire un point de vue objectif.
Les entreprises coopèrent-elles facilement à
la collecte d'informations ?
Il y a quelques temps, il était difficile d'obtenir des informations. Mais
cela évolue du fait de la prise de conscience des entreprises et de leur volonté
de faire connaître leur résultat en la matière. Les entreprises sont aujourd'hui
plus attentives aux agences de notation sociale.
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Vigeo est-elle une entreprise socialement responsable
?
Nous n'avons qu'un an ! C'est un objectif pour Vigeo de se comporter en entreprise
responsable, et nous avons déjà posé certaines bases. Un jour, pourquoi pas,
nous solliciterons une notation ! Je ne sais pas auprès de qui
Plus sérieusement,
nous nous orientons vers une certification ISO 9000, c'est-à-dire en qualité.
PARCOURS
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Enseignante de profession, Nicolas Notat adhère en 1969 à la CFDT. En 1982, elle devient membre de la Commission exécutive confédérale et secrétaire nationale chargée du secteur Education. En novembre 1992, elle est élue secrétaire générale de la CFDT. Elle est réélue en 1995 et 1998, mais ne se représente pas en 2002. Elle a également été présidente du Conseil de l'assurance chômage (Unedic) de 1992 à 1994 et de 1996 à 1998. En 2002, elle crée Vigeo, agence de notation sociale et environnementale. |
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