Carrière
RUBRIQUES
INTERVIEW
22/02/2004
Patrick
Widloecher (La Poste)
|
Envoyer | Imprimer |
|
Depuis un an, les grandes entreprises françaises créent des postes de directeur du développement durable. Au groupe La Poste, Patrick Widloecher, ancien directeur de la communication, a été nommé à cette fonction en janvier 2003. Il nous livre sa vision du développement durable au sein de l'entreprise qui, selon lui, permet d'être plus rentable et efficace.
Quelle est votre définition du "développement
durable" ?
Patrick Widloecher. C'est être dès aujourd'hui solidaires avec le futur.
A La Poste, nous inscrivons le développement durable dans une logique économique : accroître
notre responsabilité sociale et environnementale pour une meilleure efficacité
économique. Je pense en effet que le développement durable renforce dans le
temps l'efficacité et la rentabilité de l'entreprise.
En quoi permet-il d'être
rentable ?
Il permet de faire des économies, notamment d'énergie et de carburants. Il
pousse à l'innovation. Il ouvre de nouveaux marchés, comme celui des fonds
éthiques. Cela peut être un facteur de motivation, à l'interne, voire de consensus
avec les syndicats, et de valorisation à l'externe. C'est un atout concurrentiel
pour le business mais aussi pour le recrutement. Nous estimons que plus de
100 000 postiers vont quitter l'entreprise dans les huit-dix ans. Il faudra
en remplacer au moins la moitié, soit plus de 50 000, et nous serons pour
cela en concurrence totale avec d'autres entreprises qui auront aussi des
besoins importants. Sur le plan commercial, la concurrence est forte. Il faut
nous préparer à la suppression totale du monopole, prévue en 2009. La Poste
n'est pas notée par les agences de notation sociale, mais ses entreprises
clientes cotées en bourse le sont et commencent à lui demander des comptes
sur des items de développement durable.
Ne souhaiteriez-vous pas être noté ?
Nous ne pensons pas solliciter une notation avant 2005. Il est aujourd'hui
un peu trop tôt pour la demander car nous ne disposons pas pour l'instant
de données assez précises comme pour notre consommation d'eau par exemple.
Nous devons construire des indicateurs, notamment dans le domaine de l'environnement,
ce qui demande un peu de temps surtout lorsqu'il s'agit de mettre en place
en amont des systèmes de remontées des données.
La culture administrative est un frein" |
Quels sont les critères pour déterminer vos
priorités ?
Pour nous, le critère déterminant est l'intérêt économique pour l'entreprise.
Ensuite, nous cherchons à savoir si une pression réglementaire existe. Nous
tenons compte des attentes du personnel. J'ai dans cette optique rencontré
toutes les organisations syndicales. Nous évaluons également le risque pour
l'image de l'entreprise de ne pas faire telle ou telle action. Enfin, nous
nous demandons si l'action envisagée est visible et exemplaire.
La direction du développement durable de La
Poste est relativement récente. Sur quelles bases a-t-elle été créée ?
La direction du développement durable a été créée en janvier 2003, à l'initiative
de Jean-Paul Bailly (Ndlr : PDG de La Poste). Bien sûr, quelques problématiques
de développement durable étaient déjà prises en considération au sein de l'entreprise.
Nous possédions par exemple le deuxième parc de véhicules propres dans le
monde tous secteurs d'activité confondus après l'américain UPS. A La Poste,
le terreau est a priori très favorable aux pratiques de développement durable.
Nous appartenons au service public qui est traversé par cette même notion
de solidarité. La proportion de postiers membres d'une association, sportive,
culturelle ou humanitaire, d'un syndicat ou actifs dans la vie politique,
notamment locale, est nettement supérieure à la moyenne des Français. Ainsi,
sur la base de ces positions culturelles solidaires, de nombreuses initiatives
de solidarité ou de protection de l'environnement étaient prises. Mais, elles
n'étaient pas le fruit d'une stratégie réfléchie, mais plus simplement l'expression
de sensibilités personnelles. Le gros travail de la direction du développement
durable, c'est justement de passer aujourd'hui d'une démarche empirique à
une démarche organisée.
Quels sont les freins à une politique de développement
durable ?
La situation économique et financière de l'entreprise peut être un frein si
elle est difficile. Certaines actions de développement durable nécessitent
en effet un minimum d'investissements qui deviendront rentables à moyen ou
plus long terme. Or, compte tenu de notre situation actuelle avec un résultat
tout juste au-dessus de la ligne de flottaison, les cadres opérationnels peuvent
logiquement avoir tendance à prioriser une gestion de court terme. Ce qui
subsiste de la culture administrative à La Poste, entreprise publique depuis
un peu plus d'une dizaine d'années seulement, peut aussi être un obstacle.
Au sein de l'entreprise, nous réglons encore trop souvent les problèmes de
manière verticale alors que le développement durable appelle une approche
transverse des problèmes et le partage d'expériences. Par exemple, pour choisir
où seront implantés les nouveaux centres de tri, les considérations techniques
ne suffisent plus. Nous devons aussi prendre en compte les questions d'environnement
et les nuisances potentielles pour les habitants. Nous devons aussi nous poser
des questions sur le fonctionnement futur de ces sites. Par exemple, comment
y économiser de l'énergie, de l'eau ? Comment y récupérer les déchets ?
Nous réalisons un travail de benchmarking" |
En tant qu'entreprise fournissant des services
financiers, quelles sont vos actions ?
Notre objectif premier en matière de développement durable est de garantir
l'accès des plus démunis à un service bancaire. C'est d'ailleurs inhérent
au service public. Actuellement, compte tenu de l'appétence des Français pour
les produits éthiques, nous développons de nouveaux placements financiers
socialement responsables. Par ailleurs, nous participons activement à la lutte
contre le blanchiment de l'argent et le financement du terrorisme. Les données
que nous récoltons représentent aujourd'hui 20 % du total des informations
fournies à la cellule interministérielle Tracfin (Ndlr : Traitement du
renseignement et action contre les circuits financiers clandestins).
De quels moyens la direction du développement
durable est-elle dotée ?
Je suis moi-même rattaché à Georges Lefebvre, directeur général et directeur
des ressources humaines du groupe. Je dirige une petite équipe de 4-5 personnes
auxquelles viennent s'ajouter régulièrement un ou deux stagiaires de très
bon niveau. Nous disposons d'un budget de fonctionnement qui nous permet aussi
de faire quelques études et d'amorcer concrètement quelques projets. Nous
avons par exemple acheté récemment douze scooters électriques pour les tester
à Paris intra-muros. Si le test est convaincant, les directions opérationnelles
concernées prendront le relais. Le développement durable bénéficie de points
d'appui au sein de l'entreprise. Dans chaque direction, un cadre stratégique
est responsable des problématiques de développement durable. Dans les grandes
directions, il peut même y avoir des structures avec un directeur à leur tête.
Quelles sont vos missions ?
Nous assurons une veille permanente, à partir de la presse et des sondages
d'opinion. La Poste a une antenne à Bruxelles qui nous tient informés des
nouvelles décisions de la Commission. Nous réalisons aussi un travail de benchmark.
Nous rencontrons nos homologues européens pour observer ce qu'ils font et,
dans certains cas, travailler avec eux. Nous sommes par exemple allés en Suède
et en Finlande, où nous avons pu observer leurs pratiques développement durable
comme la formation des conducteurs à l'éco-conduite qui permet de baisser
de 6 à 12% les consommations de carburant. Nous menons une réflexion stratégique
qui se traduit par un plan d'action dont nous suivons l'exécution. Nous cherchons
à sensibiliser l'ensemble de nos 320 000 collaborateurs et à valoriser
ce que nous faisons à l'externe avec l'aide de la direction de la communication.
La communication est nécessaire pour le démarrage" |
Envisagez-vous d'inscrire l'exécution de certaines
actions dans leurs objectifs ?
Nous ne pouvons pour l'instant y songer car il faudrait pouvoir les mesurer.
Nous manquons encore d'indicateurs. Je ne suis pas là pour mener une politique
interventionniste. Je suis plutôt un aiguillon. Je ne suis pas très inquiet
quant à l'exécution. A la base, les postiers sont plutôt favorables aux politiques
de développement durable. Le plus difficile est en fait d'obtenir l'engagement
de l'encadrement.
Pourquoi les cadres sont-ils moins sensibles
à cette problématique ?
Probablement parce qu'ils ont spontanément tendance à privilégier le court
terme aux investissements à retour plus planifié dans le temps quand la situation
économique de l'entreprise est difficile. Nous envisageons d'ailleurs de leur
proposer des formations au développement durable pour qu'ils puissent plus
souvent surmonter cette contradiction. Car ne rien faire aujourd'hui, risque
de coûter cher par la suite.
|
Avant d'être directeur du développement durable,
vous étiez directeur de la communication. C'est un schéma classique, souvent
critiqué. Comment justifiez-vous cette passerelle ?
Le développement durable, c'est moins un changement technique qu'un changement
de comportement ; c'est réinventer quelque part les modes de fonctionnement
de l'entreprise. Cela nécessite une forte sensibilisation qui passe par de
l'information et de la formation. Avec la notation sociale, il faut également
savoir communiquer. Certes, les éléments objectifs comptent, mais l'image
aussi. La communication est donc nécessaire pour le démarrage, le lancement
d'une démarche de développement durable. Evidemment, elle ne peut pas suffire.
Il y a rapidement besoin de disposer de connaissances d'ordre technique. C'est
pour cette raison d'ailleurs que la première personne que j'ai embauchée pour
m'épauler est une ingénieur en économie de l'environnement.
Selon vous, quelles sont les entreprises les
plus avancées en la matière ?
Je regarde de près ce que font notamment EDF, la SNCF, Danone, Suez, Monoprix,
Veolia ou encore STMicroelectronics.
PARCOURS
|
Entré à l'âge de 18 ans à La Poste, Patrick Widloecher a exercé diverses activités en bureau de poste et centre de tri. Il a ensuite intégré le service de l'information et de la communication du ministère des PTT. Pendant cette période, il obtient les diplômes de l'INT (Institut national des télécommunications), de l'IFP (Institut français de presse) et un DESS "Servives publics et communication". En 1991, il est nommé directeur de ma communication de l'Oda (groupe Havas, aujourd'hui Les Pages Jaunes). De novembre 1999 à octobre 2002, il a occupé la fonction de directeur de la communication du groupe La Poste. Depuis janvier 2003, il est directeur du développement durable et membre du comité opérationnel du groupe. |
Un témoignage, une
question, un commentaire sur ce dossier ?
Réagissez |
JDN Management | Envoyer | Imprimer | Haut de page |
Découvrez le nouveau classement Forbes des milliardaires du monde. Lire