Journal du Net > Management >  Gestion de l'innovation : Ivan Gavriloff (Kaos Consulting)
dossier
 
(juin 2004)

Ivan Gavriloff (Kaos Consulting)
"Une innovation part toujours d'une ambition"

Loin des idées reçues, le PDG de Kaos Consulting raconte l'innovation. Pour lui, les innovateurs sont souvent des mégalomanes, des insatisfaits.
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Ambitieux, mégalomane, insatisfait... L'innovateur ressemble à un grand capricieux. Mais il doit aussi savoir travailler en équipe. Tel est le portrait que dresse Ivan Gavriloff, expert en innovation, PDG de Kaos Consulting et co-auteur, avec Bruno Jarrosson, de Une fourmi de 18 mètres... ça n'existe pas (aux éditions Dunod). Selon lui, pour innover, il faut savoir sortir de soi : élargir la définition de son marché, observer des secteurs connexes et ne pas croire que tout le monde réagira comme soi. Enfin, pour tester une idée, il faut en faire un objet : un prototype à toucher et à manipuler, avec les doigts.

Qu'est-ce qu'une innovation ?
Ivan Gavriloff. Une innovation remplit trois critères : c'est une chose nouvelle, concrète - à la différence d'une idée - et qui marche. L'amélioration et la rupture ne peuvent s'opposer de manière binaire, tout se fait dans la continuité. Une innovation correspond à un changement de paradigme, alors que le progrès s'inscrit dans un même paradigme.

Quel est le poids de la R&D dans une entreprise innovante ?
L'innovation relève de la R&D, mais aussi du marketing ou des ventes. Conquérir un marché hors de ses frontières peut constituer une innovation. Elle n'est donc pas forcément liée à la recherche. Pernod Ricard est une entreprise innovante, alors qu'elle doit respecter différents critères pour rester dans la tradition. Coca-Cola consacre une faible part de son chiffre d'affaires à la R&D et son produit semble rester identique. C'est pourtant une entreprise innovante.

Au sein de l'entreprise, quels sont les acteurs à l'origine des innovations ?
Chacun voit midi à sa porte. Mais un projet mené par un seul service est couru d'avance. Les vraies innovations résultent de l'interaction entre plusieurs services de l'entreprise. Il faut réussir à travailler ensemble, à trois ou quatre services, malgré les tensions. Le département industriel prétend souvent qu'un produit est très compliqué à fabriquer et le marketing qu'il n'existe pas de marché. L'Oréal a par exemple eu du mal à imposer les acides de fruits. Face aux réticences du marketing, la R&D a cependant persisté. Le directeur général a souvent pour mission d'inciter régulièrement les équipes et d'arbitrer.


On fonctionne par analogie"

Que pensez-vous des boîtes à idées pour faire participer tous les salariés ?
Les boîtes à idées peuvent être efficaces, à condition de préciser un thème et une durée. Les idées internes sont souvent plus coûteuses, sans que ce surcoût ne soit répercuté sur le prix. Par ailleurs, il ne faut pas lister les idées et dire si elles sont bonnes ou mauvaises. Il faut les lire, en présence de tous les services, et chercher à améliorer les idées des autres. Ce que permettent les boîtes à idées interactives.

Pour innover, par quoi faut-il commencer ?
Les innovateurs sont souvent des mégalomanes, des insatisfaits. Une innovation part toujours d'une ambition. Par exemple, je veux absolument créer le chocolat le plus délicieux du monde. Le réflexe est de dire que c'est impossible. Mais il faut faire en sorte que les équipes en interne trouvent comment réaliser cette utopie. On fonctionne souvent par analogie, en observant ce qui se passe dans les industries connexes. Par exemple, le walkman était difficile à inventer car il bouge. Pour résoudre le problème de vibration, les équipes se sont inspirées des méthodes de l'industrie aéronautique.

Les spécialistes sont-ils les mieux placés pour innover ?
Les spécialistes constituent souvent le principal obstacle à l'innovation. Il pense que "Cela ne marchera jamais". Par ailleurs, l'innovation n'est pas toujours dans leur intérêt. Ce ne sont pas les fabricants de bougie qui ont inventé l'ampoule. Le moteur à piston rotatif inventé dans les années 70 permettait à une voiture de rouler un million de kilomètres, sans usure, et en silence. Mais il a disparu, car il n'intéressait pas le réseau de distributeurs… C'est souvent un nouvel acteur qui apporte une innovation. Un "cordeur" de raquettes ne va pas proposer des cordes incassables !

Comment savoir si le projet réussira ?
Le produit doit être techniquement faisable et économiquement rentable. Il doit répondre à une demande du marché. Pour définir son marché, il faut toujours se demander si l'on peut satisfaire un même besoin autrement. Par exemple, le pain tranché est fortement concurrencé par les céréales. Beaucoup de projets échouent car les acteurs du marché n'ont pas été bien identifiés. Par ailleurs, une entreprise qui innove prend des risques. Il est normal qu'elle se paie des ratés, mais ils doivent rester à son échelle.


L'unicité de l'innovation est très risquée"

Copier son voisin, est-ce une bonne méthode ?
Le plus intéressant consiste à observer ce qui se passe sur d'autres marchés. Par exemple, Air France a beaucoup à apprendre de la relation clients de La Redoute. Il faut se référer au "champion" pour un produit ou un métier donné. Savoir copier son voisin s'avère nécessaire, mais pas suffisant. C'est même le minimum syndical.

Vaut-il mieux rester seul sur un marché ?
Souvent, les innovations s'imposent car les consommateurs voient immédiatement leur intérêt. Ce fût le cas pour le téléphone portable. En général, les innovations connaissent plus de succès lorsqu'elles sont développées par plusieurs offreurs. Si France Télécom avait été seul sur le marché des portables, le téléphone mobile aurait rencontré moins de succès. Dans certains cas, les innovations constituent de telles ruptures qu'il faut créer le marché et faire preuve de pédagogie. Le fait d'être deux ou trois acteurs permet de profiter des efforts pédagogiques des autres. La vente de chaussures de sport portées en ville n'aurait pas pu se généraliser si elle n'avait pas été proposée par de nombreuses marques. Apple est resté seul dans son coin et il a longtemps refusé de licencier sa technologie à un concurrent. Aucune communauté n'a pu se créer autour de ses produits. Pourtant, un système de redevance aurait pu lui permettre de se développer. Ce n'est pas intuitif mais l'unicité de l'innovation s'avère très risquée.

Quel le meilleur moyen d'être créatif ?
Il faut avoir une définition élargie de son métier. Se demander : "Qui sont mes concurrents ?" Et répondre à cette question en partant du besoin. Orangina est, dans certaine circonstance, concurrent de l'eau minérale. Pour inventer un nouveau produit, il faut se référer aux attentes du consommateur.

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Comment peut-on tester une idée ?
Il ne faut pas juger une idée avec sa tête, mais l'expérimenter, l'essayer. Il ne faut surtout pas se projeter et imaginer que tous les consommateurs sont comme soi. Pour tester son idée, rien ne vaut un prototype. Mais attention, il faut protéger son innovation avant d'en parler.

Parcours

Ivan Gavriloff, polytechnicien et titulaire d'un DEA en sciences de l'information et de la communication, crée en 1986 le groupe Kaos, expert en innovation participative, création de marque et sites internet. Il est co-auteur, avec Bruno Jarrosson, de "Une fourmi de 18 mètres... ça n'existe pas", aux éditions Dunod. Il est expert auprès des clubs Progrès du management et dispense de nombreuses conférences et formations sur le thème de l'innovation.


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