Journal du Net > Management >  Consulting : Laurent Dumarest (AT Kearney)
dossier
 
(juin 2004)

Laurent Dumarest (AT Kearney)
"Il n'y a plus de place dans le conseil pour la simple fourniture de ressources"

Au-delà de la reprise, le vice-président d'AT Kearney France estime que le secteur du conseil doit répondre aux nouvelles attentes des clients. Parmi elles, la délocalisation, la reconfiguration de la chaîne de valeur ou encore les stratégies d'alliance.
  Envoyer Imprimer  

Vice-président d'AT Kearney, l'un des grands cabinets de conseil, Laurent Dumarest revient sur le bilan 2003 du secteur du consulting et analyse les perspectives de marché. Plus largement, les grandes tendances au niveau mondial sont marquées par un mouvement de localisation, des alliances et des partenariats stratégiques.

 

Quel est le bilan de l'année 2003 pour AT Kearney ?
Laurent Dumarest. Le métier du conseil a souffert ces trois dernières années. En 2002 et 2003, les entreprises ont décalé certaines décisions d'investissement et réduit leurs dépenses en conseil. L'activité s'est donc contractée pour la plupart des cabinets dans le monde, dont AT Kearney. Le conseil est dépendant de l'activité économique. Notre secteur est même un indicateur avancé de ce qui se passe dans le reste de l'économie. Mais il a connu une telle crise que certains acteurs se sont demandés s'il n'y avait pas une modification des fondamentaux du métier. En France, AT Kearney a tenu ses objectifs en 2003, avec un chiffre d'affaires d'environ 70 millions d'euros, grâce à un réseau important de clients fidèles dans la durée. Notre activité a néanmoins baissé par rapport à 2002. Nous avons été prudents et nous avons ralenti les recrutements.

 

Jean-Luc Placet (Syntec)
Les principaux cabinets de conseil présents en France

Que prévoyez-vous pour 2004 ?
L'année 2004 laisse entrevoir des signaux très positifs. Les cabinets ont effectué un travail important d'ajustement des capacités au marché en réduisant leurs effectifs. Par ailleurs, les entreprises ne peuvent durablement décaler des décisions lourdes. Elles recommencent donc à investir et s'implantent dans de nouvelles régions. Aujourd'hui, nous avons un niveau d'utilisation élevé. Le niveau d'activité augmente chaque mois. Nous observons la reprise des fusions-acquisitions et des marchés financiers. Il reste des entreprises peu chères sur le marché, de fortes opportunités. Les capitaux sont aussi plus accessibles. Certaines opérations de grande ampleur sont en cours, par exemple l'OPA de Sanofi Synthelabo, l'acquisition en cours d'une entreprise en Allemagne par Air Liquide (Ndlr : activités de gaz industriel de Messer Griesheim en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis), le rachat de Pechiney par Alcan… La Bourse est aussi repartie. Les hypothèses de croissance sont à la hausse en Europe, ce qui se traduit par plus de confiance. Mais la reprise reste à confirmer, et les entreprises manquent encore de visibilité. Le terrorisme ou la situation en Moyen-Orient représentent des facteurs d'incertitude majeurs.

 


Les clients exigent l'apport d'une forte valeur ajoutée"

L'activité de conseil va-t-elle retrouver des niveaux de croissance élevés ?
Je pense que le secteur du conseil de direction générale va connaître une croissance raisonnable, mais certainement pas la croissance du début des années 80 à 2000, période pendant laquelle le marché français a rattrapé une grande partie de son retard par rapport aux marchés anglo-saxons. Le marché est aujourd'hui plus mature, dans toutes les zones géographiques. Le niveau d'exigence est élevé en France comme ailleurs. Ce n'est plus comme avant. Les clients savent maintenant ce qu'ils achètent, les bénéfices qu'ils peuvent en tirer. D'anciens consultants sont partis travailler dans des entreprises et les directions de la stratégie et du développement se sont professionnalisées, en compétences, en capacités analytiques et en techniques de management. Il n'y a plus de place dans le conseil pour la simple fourniture de ressources. Les clients exigent l'apport d'une forte valeur ajoutée, d'un très fort contenu analytique et de résultats visibles, ce qui correspond à notre cœur de métier. Par conséquent, la croissance sera sans doute modérée. En revanche, il est certain que le conseil de direction générale continuera à jouer un rôle très important, pour aider les entreprises à adapter sans cesse leurs stratégies et réussir les mutations nécessaires de leurs structures et de leur organisation.

 

Avez-vous recommencé à recruter ?
Nous avons ralenti les recrutements en 2002 et 2003. Ils ont repris en septembre 2003 pour les jeunes diplômés. Pour le premier semestre 2004, nous prévoyons d'embaucher 20 "business analysts" et une douzaine de consultants seniors en France. Nous allons également recruter dans la plupart des pays où nous sommes présents.

 

Vous recrutez presque exclusivement des jeunes diplômés des meilleures écoles. N'avez-vous pas peur de limiter la créativité des équipes par manque de diversité ?
Nous faisons confiance à la sélectivité de l'enseignement supérieur. Il est plus facile de recruter en s'appuyant sur les diplômes. Sur le marché, beaucoup de gens sont qualifiés et nous choisissons les meilleurs. Les plus créatifs, les plus analytiques, ceux qui ont la meilleure capacité relationnelle. Nous ne sommes pas totalement fermés et rigides, mais il est rare que nous ne recrutions pas parmi les anciens des grandes écoles ou les MBA. Aujourd'hui, notre volume de recrutement est plus faible que par le passé et les banques d'affaires embauchent moins. Nous pouvons donc nous permettre d'être encore plus exigeants.

 


Attention aux coûts cachés d'une délocalisation"

Qui sont vos clients ?
Nous nous adressons en priorité à des groupes de grande taille, français ou étrangers. Nous disposons en France de la taille critique nous permettant d'intervenir dans tous les secteurs d'activité. Traditionnellement, nos clients sont majoritairement dans les télécommunications, l'énergie, la distribution et les biens de consommation, la finance et l'automobile. La défense et l'aérospatial se développent, suite aux restructurations de l'industrie européenne et mondiale. Nous sommes aussi très présents dans les hautes technologies, les médias et le transport. Nous intervenons également dans les secteurs public et parapublic qui sont amenés à s'ouvrir à la concurrence dans le contexte européen. Ces organisations doivent en effet engager au cours des prochaines années de profondes transformations de leur organisation, revoir leur stratégie et accroître leur productivité.

 

Quelles sont les problématiques communes à tous ces secteurs ?
Les problématiques des directions générales sont aujourd'hui tout autant liées à l'efficacité et à la maîtrise des coûts qu'à la croissance. D'autre part, les opérations de fusion-acquisition repartent dans de nombreux secteurs d'activité. Nous menons d'ailleurs beaucoup d'audits d'acquisition et de projets d'évaluation stratégique, en général pour le compte de l'acquéreur. Dans les secteurs ayant une forte évolution structurelle liée à l'ouverture à la concurrence et la mondialisation, les entreprises ont une stratégie de reconfiguration de la chaîne de valeur. Nous travaillons donc sur la vente et l'achat de portefeuilles d'activités, et sur les stratégies d'alliance. La question des compétences est aussi au cœur des préoccupations. Pour mener à bien ce type de projet, il faut allier des compétences simultanément en stratégie, en organisation et dans le domaine opérationnel.

 

Quels sont les secteurs les plus concernés par les délocalisations ?
Le secteur manufacturier a été le premier touché. Mais les entreprises se rendent compte qu'il faut garder les activités à forte valeur ajoutée. La tendance n'est donc pas vraiment sectorielle mais fonctionnelle. L'informatique par exemple peut être délocalisée en Inde, où les niveaux de formation sont très bons. Même certaines fonctions comme le design ou le développement de produit peuvent être éloignées. En France, nous avons tout intérêt à nous différencier par les idées, la créativité, et à faire un effort sur les coûts.

 


Nous devons participer au mouvement de localisation"

Ce mouvement de délocalisation n'en est-il qu'à ses débuts ?
Les délocalisations constituent une tendance lourde, elles ne sont pas terminées. Mais cela ne signifie pas que certaines délocalisations sont irréversibles. Les entreprises doivent distinguer ce qui est clé, ce qu'elles doivent maîtriser localement, de ce qu'elles peuvent sous-traiter ou éloigner. Il faut aussi éviter de surestimer les gains liés aux délocalisations, qui sont trop souvent calculés en partant des seules différences dans les coûts salariaux. Il existe en effet de nombreux coûts cachés liés à une délocalisation, comme les coûts d'expatriation de personnels d'encadrement, les coûts d'interface ou les enjeux liés à la propriété intellectuelle, pour n'en citer que quelques uns.

 

Quelles sont les conséquences du développement de nouveaux marchés pour les entreprises européennes et américaines ?
Certains marchés se développent à vitesse rapide, comme l'Inde ou la Chine. Cette dernière, qui bénéficie d'un marché intérieur remarquable, est fortement importatrice dans de nombreux secteurs, de produits d'Europe ou des Etats-Unis. Les entreprises européennes et américaines profitent ainsi de la croissance de nouveaux marchés. Elles ont par ailleurs des projets de développement dans les pays à forte croissance. Je ne parle pas de délocalisation mais d'investissement de développement. Elles doivent agir vite, au risque de perdre des parts de marché. L'automobile a été un précurseur. Par exemple, Citroën s'est implanté en Chine, n'ont pas pour produire moins cher pour le marché européen mais pour répondre à une demande du marché chinois. Les grands champions français participent à ce mouvement de localisation, ils ont rapidement pris conscience des enjeux. Ils ne le font pas moins bien que les autres, mais la compétition sera très forte.

 

Etes-vous amenés à conduire des missions dans les dix pays qui ont rejoint l'Union européenne ?
Nous avons un réseau en Europe centrale et nous sommes donc proches d'entreprises de ces pays. Nombre d'entre elles souhaitent se moderniser pour être à la hauteur sur le marché européen. Elles étaient sous-traitantes d'entreprises françaises et sont maintenant en phase de développement pour fournir le marché européen. Les pays les plus en pointe sont la Hongrie, la Pologne et la Tchéquie. Par ailleurs, nous conseillons également des entreprises qui souhaitent s'implanter dans des pays d'Europe centrale où il existe de fortes opportunités.

 


Des alliances et des partenariats ciblés"

Quelles nouvelles méthodes d'organisation et de management proposez-vous aux entreprises ?
Chez AT Kearney, nous nous méfions des modes, elles ne donnent pas toujours des résultats très probants. Aujourd'hui, la capacité des entreprises à adapter rapidement leur périmètre et leur portefeuille d'activité est un élément essentiel. Les technologies de l'information et la baisse des coûts de transaction favorisent cette tendance. Les entreprises peuvent rapidement sortir d'une partie de leur métier ou faire de l'outsourcing. Elles sont plus flexibles, ce qui n'implique pas forcément des méga-fusions mais plus souvent des d'alliances et partenariats ciblés.

 

Cela implique une nouvelle relation entre les salariés et leur entreprise ?
Effectivement, à l'intérieur de l'entreprise les hiérarchies sont moins rigides, les salariés travaillent en mode projet, par groupes de travail alliant différentes compétences. Les hommes doivent être habitués à travailler en équipe, avec des collaborateurs ayant des spécialités différentes. Cela demande une plus forte mobilité fonctionnelle et géographique.

 

Jean-Luc Placet (Syntec)
Les principaux cabinets de conseil présents en France

Quelles sont les entreprises les plus performantes ?
Chaque année, en partenariat avec le magazine Challenges, nous décernons le un prix du dirigeant le plus performant, selon des critères objectifs dans la durée. En 2002, Lindsey Owens-Jones, PDG de L'Oréal, a remporté ce prix pour la performance de son groupe sur les vingt dernières années. Nous avons récompensé sa capacité à croître et à être rentable. L'Oréal a su se mondialiser, développer de nouveaux produits, innover et gérer ses coûts. En 2003, nous avons attribué le prix du "Patron le plus performant " à Jean-Martin Folz, président du directoire de PSA Peugeot Citroën, sur la base de la performance du groupe au cours des trois dernières années. Peugeot a su augmenter ses parts de marché en Europe et maîtriser ses coûts. Le constructeur a connu des secousses mi-2003, mais dans la durée, il est performant. Contrairement à ce que beaucoup ont pu recommander dans le passé, PSA Peugeot Citroën a bien fait de conserver deux marques distinctes, avec chacune une identité forte, et de poursuivre sa croissance sans acquisition.

 

 

Parcours

Laurent Dumarest, quarante sept ans, ESCP, a débuté sa carrière dans l'audit en 1979 avant de participer au développement de la société de conseil Eurosept Associés, dont il fut le président de 1992 jusqu'à l'intégration d'Eurosept dans AT Kearney en 1995. vice-president d'AT Kearney depuis cette date, il dirige jusqu'à présent le développement mondial de l'offre Croissance rentable. En sus de ses responsabilités de direction générale à Paris, il participe au pilotage du pôle Process et utilities d' AT Kearney en Europe.


Un témoignage, une question, un commentaire sur ce dossier ?
Réagissez

JDN Management Envoyer Imprimer Haut de page

Sondage

Avez-vous adressé des v½ux professionnels cette année ?

Tous les sondages