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15/12/2004
PDG.con : bonnes feuilles
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En période de réduction budgétaire il faut savoir agir avec méthode. |
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"Les dirigeants doivent regarder au-delà des modes" |
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orsque la croissance du chiffre d'affaires se ralentit et que la trésorerie de l'entreprise tend à s'assécher, il n'existe qu'une solution : réduire les coûts dans tous les domaines. Il en va de ma responsabilité de gestionnaire des capitaux que me confient les actionnaires. C'est vrai, les politiques de réduction des coûts n'ont guère bonne réputation parmi les collaborateurs à qui il faut sans cesse expliquer que nous agissons sous la contrainte. De quoi largement se rendre impopulaire auprès d'eux.
Ce jour-là, en sortant, mon assistante a oublié de fermer ma porte après m'avoir apporté le courrier à signer. Ce n'est pas dans son habitude, mais, depuis son divorce, elle a quelquefois la tête en l'air. Non pas par tristesse pour avoir perdu son mari, parti avec une femme beaucoup plus jeune, mais par engouement pour son nouveau fiancé.
J'allais me lever pour clore cette porte qui, lorsqu'elle est ouverte, m'empêche de me concentrer. Et, une nouvelle fois, lui rappeler la règle : "les chefs, à fortiori le premier d'entre eux, ont besoin de tranquillité pour mener les affaires de l'entreprise. Donc d'une porte fermée." C'est alors que je m'aperçois qu'elle n'est pas seule. L'assistante de Françoise Plansoc, la DRH, est là.
- Tu connais son nouveau surnom ? demande-t-elle, probablement en désignant, d'un signe de tête, l'entrée de mon vaste bureau.
- Non.
- Moins quinze pour cent de matière grasse !
C'est donc comme cela que l'on me surnomme dans l'entreprise. C'est vrai, j'ai prié, que dis-je, exigé de chaque direction et business unit, des coupes drastiques dans leurs budgets. C'est -15% pour tout le monde ! Je ne fais pas de détail. L'expérience montre que loger tout le monde à la même enseigne est plus bénéfique : les récalcitrants s'expriment moins lorsqu'ils sont aussi maltraités que les autres
Par rapport à mes confrères, mon surnom est, somme toute, bien vu. Quand je pense que certains se trouvent affublés de patronymes tels que "Terminator", "Destructor"
Lors du comité de direction où fut décrétée la mesure d'économie, incontournable tant les finances de l'entreprise ne sont guère brillantes, j'ai pris soin d'annoncer la couleur pour la suite : "-15% pour tout le monde et seulement pour commencer".
Un silence suivit. Je me doutais de ce qu'ils pensaient : "nous n'y arriverons pas, nous sommes déjà pressurés". D'ailleurs, aucun n'osa prendre la parole pour protester. Je savais, tout comme eux, qu'ils pouvaient parfaitement intégrer ce nouvel objectif dans leurs budgets. Seule la DRH souriait. Des réductions d'effectifs n'étaient pas pour lui déplaire.
J'étais curieux d'observer comment tous les membres du comité de direction allaient agir pour démontrer la réalité des "-15%". Les managers adoptent généralement deux stratégies : A et B. La stratégie A, ou "stratégie du commando tchétchène" consiste à saupoudrer les réductions sur tous les postes budgétaires, tant pis pour les quelques injustices, de simples dommages collatéraux. En faisant mal partout, on ne fait mal nulle part ! La stratégie B (ou "méthode du jardinier éclairé", elle, consiste à couper les branches vraiment pourries, s'il en reste, pour conserver les racines saines. Autrement dit, sacrifier une ligne de business pour permettre aux autres, au mieux, de croître, au pire, de survivre. Je n'ai pas de religion sur ce point : les patrons de business units sont suffisamment responsables pour décider de ce qui est préférable. Seuls m'importent les résultats trimestriels présentés aux actionnaires et aux analystes financiers, les seuls juges de la qualité de mon management.
J'ai également exigé un bilan complet des réductions de coûts dans un délai de deux mois. Ce fut l'occasion d'organiser un comité de direction dédié à la politique de réductions des coûts. Chacun est venu avec des slides présentant ses domaines d'actions. Le directeur marketing a proposé de réduire de moitié les frais d'édition du catalogue produits, en privilégiant un papier moins haut de gamme Le directeur financier suggéra d'instaurer un quota sur les notes de frais, dont le montant augmente chaque année. Tant pis pour les gueuletons payés par l'entreprise La directrice de la communication sabra dans les voyages de presse. Tant mieux pour ces journalistes incompétents qui n'arrêtaient pas de critiquer Moudelab & Flouze Industries La DRH insista pour geler toutes les augmentations de salaires, sauf les miennes, il va de soi Le DSI, lui, opta pour une rationalisation du nombre de ses fournisseurs, trop nombreux. Que des bons élèves ! L'expérience montre que, en matière de réduction de coûts, managers et collaborateurs rivaliseront toujours d'imagination pour limiter les dégâts. Dans les années 1970, les travailleurs soviétiques avaient pour habitude de répéter : "Ils font semblant de nous payer, nous faisons semblant de travailler". Aujourd'hui, ce sont les millions de salariés qui peuvent adopter ce principe : "Ils font semblant d'avoir une stratégie et une vision, nous faisons semblant de couper les coûts." Il existe une seule limite à la réduction des coûts : lorsque des économies de bouts de chandelle provoquent une étincelle qui déclenche alors une révolte, le départ massif de salariés, et un chaos organisationnel difficile à gérer. J'ai connu des PDG qui coupaient le téléphone et les connexions Internet, une heure par jour à tout le monde, sous prétexte d'une panne, ou qui s'approvisionnaient en papier toilette tellement bas de gamme, peu cher et rationné, que les visiteurs-clients ont fini par fuir nos locaux pour ceux de nos concurrents, bien plus chaleureux pour leurs parties intimes.
Loin de moi l'idée de recourir à ces méthodes expéditives. Pourtant, le téléphone fut coupé dans toute l'entreprise, un matin de mars. Après enquête des techniciens de maintenance, appelés à la rescousse, il est apparu que nous n'avions pas changé la batterie du commutateur téléphonique, qui avait donc rendu l'âme. "Je n'avais plus de budget à dépenser", m'expliqua le responsable des services généraux. Privé de téléphone pour une banale batterie à 32,41 euros HT ! Le pire, c'est que nous avons raté un important appel d'offres auquel nous devions répondre. Le commanditaire avait tenté d'appeler pour nous avertir d'un avancement du délai limite.
En vain : le responsable des services généraux avait choisi la stratégie C. Celle qui ne figurait pas à mon catalogue
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