Journal du Net > Management >  Inde, la plaque tournante - Jean-Joseph Boillot (Mission économique)
INTERVIEW
 
février 2005

Jean-Joseph Boillot (Mission économique)
L'Inde et la Chine sont deux pays complémentaires

Déjà largement reconnue dans les secteurs des services et de l'informatique, l'Inde est amenée à se hisser parmi les acteurs majeurs de l'économie mondiale.
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Alors que l'actualité économique braque ses projecteurs sur la Chine, dont la croissance explose, l'Inde offre un potentiel similaire, sinon plus stable à long terme. Etabli en Inde depuis plus de deux ans et demi, Jean-Joseph Boillot est conseiller financier en poste à la Mission économique auprès de l'Ambassade de France à New Delhi. Pour Le Journal du Management, il décrypte la situation économique du pays.

Quelle est la place de l'économie indienne au niveau mondial ?
Jean-Joseph Boillot. Si on utilise la mesure de son PIB en parité de pouvoir d'achat, l'Inde fait clairement partie des géants qui vont marquer le XXIème siècle, juste après la Chine, l'Europe et, en première position, les Etats-Unis. Historiquement, l'Inde faisait pâle figure sur le tableau économique mondial dans les années 50, représentant à peine 2 % du PIB mondial. Entre les années 50 et le milieu des années 80, l'Inde a connu un développement autocentré et fermé, tout comme la Chine d'ailleurs, avec une croissance moyenne de 3,5 % par an. Mais à partir du milieu des années 80, l'Inde a doublé son régime de croisière pour atteindre 6 % à 7 % de croissance par an. Elle est désormais la 4e économie du monde par la taille, ou la 5e si on cumule les économies européennes.

Peut-on comparer l'essor de l'Inde à l'essor de la Chine ?
D'une certaine manière, oui. L'économie indienne suit le décollage de la Chine avec dix ans d'écart. Le pays a connu une rupture en 1991 puis une montée en puissance au niveau mondial nettement perceptible depuis 4-5 ans. Néanmoins, l'Inde est un pays à changement graduel alors que la Chine un pays à changements brusques, avec de grands bonds en avant mais aussi en arrière. L'Inde suit en revanche un régime de croissance stable car le pays est très structuré, prudent et conservateur. Il y a donc peu de risques. Et c'est une source de croissance qui commence à se voir aujourd'hui. Si la Chine a contribué pour 30 % de la croissance mondiale ces dix dernières années selon le FMI, l'Inde y aura contribué pour 8 à 10 %. Or pour un pays qui jaugera les 1,5 miliards d'individus d'ici 2050, un PIB qui double tous les 8-10 ans n'est pas négligeable du tout. Les changements en Inde sont impressionnants depuis 1997, le pays a notamment perdu ses complexes suite à la crise asiatique. Le commerce extérieur a bondi en moyenne de 25 % par an.

Quelles sont les perspectives pour l'Inde à l'horizon 2025 ?
On peut considérer ce pays comme un relais possible de la locomotive chinoise. Dans les vingt prochaines années, la Chine va connaître un fort ralentissement démographique dû à sa politique de l'enfant unique, soit une perte de 10 millions d'actifs en prévision d'ici 2020. Dans ce même laps de temps, l'Inde devrait compter 126 millions d'actifs en plus. A ce moment-là, la Chine devra commencer à faire face à sa population viellissante alors que l'Inde sera en plein dans sa fenêtre d'opportunité démographique.


Les industriels doivent répondre aux fortes exigences de la population"

Ces deux pays se font-ils mutuellement de l'ombre ?
Non, on se trompe souvent à ce sujet. Ce qui rebute en Chine attire en Inde, et vice-versa. Les deux pays sont aujourd'hui très largement complémentaires et peu concurrents. Et on a en tous cas intérêt à jouer sur ces complémentarités. Si une entreprise travaille sur l'un de ces deux pays, elle doit se poser la question du potentiel de l'autre. Par exemple, l'Inde possède une industrie pharmaceutique importante, reposant sur des services de recherche très pointus, et dont le débouché évident est le marché chinois. Le schéma est simple : une molécule est développée en Inde et la production serait effectuée en Chine, comme dans le cas du laboratoire Mérieux.

Quels sont les secteurs les plus dynamiques dans l'économie indienne ?
L'Inde est avant tout orientée vers le développement de son marché intérieur, notamment en raison de sa structure démocratique qui impose de satisfaire la demande de la population. On citera à ce propos la santé avec un secteur biotech en pleine expansion, mais aussi toute la filière transport comme les voitures ou les deux-roues. L'agroalimentaire est également en passe de décoller avec une agriculture qui occupe près de la moitié de la population active. A l'export, le pays n'a pas suivi comme la Chine un schéma de plate-forme à l'exportation. Mais les choses changent très vite. A côté des secteurs traditionnels comme les bijoux ou le textile-habillement, comme tout le monde le sait, l'Inde est en train d'émerger comme un leader mondial dans les services, notamment en informatique.


L'avantage premier est celui de marché"

Y a-t-il eu des mutations flagrantes ces dernières années ?
Depuis quelques années, les grands groupes indiens effectuent des investissements importants dans le pays. Il y a quatre ans, le téléphone mobile n'existait pas. Aujourd'hui, lignes fixes et lignes mobiles confondues, l'Inde enregistre chaque mois deux millions de nouveaux abonnés. Les Indiens réservent leurs billets de train ou d'avion par téléphone maintenant. Ils ont eux-mêmes pris conscience du potentiel économique de leur pays. Les gens sont fiers d'eux-mêmes et travaillent avec acharnement car ils en voient notamment les résultats.

Qu'en est-il des délocalisations vers l'Inde ?
On exagère le phénomène. Il s'agit en fait d'un mouvement massif d'implantation des grands groupes mondiaux qui souhaitent à la fois profiter des opportunités du marché intérieur et utiliser les points forts de l'Inde dans la compétition mondiale, notamment dans les services. Mais ces implantations remplacent rarement des structures dans les pays d'origine, ce sont des extensions. Pour la France en outre, la barrière de la langue est un frein à ce genre de développement. Au contraire, l'Inde très largement anglophone fournit un avantage linguistique pour les groupes français, voire les PME, qui cherchent à s'internationaliser davantage. Nos banques par exemple ont des projets stratégiques sur l'Inde, à la fois pour tirer partie de la révolution financière en cours, mais aussi pour étendre leur réseau mondiale de services financiers.

Quel est l'intérêt de s'implanter en Inde ?
L'avantage premier est celui de marché. Pour citer un exemple, Michelin est en train d'acquérir le numéro un du pneu indien, Appollo, pour s'implanter sur ce qui est perçu comme un des premiers marchés du monde dans les quinze prochaines années. L'Inde est une source de croissance en terme de demande. 350 millions d'indiens ont un pouvoir d'achat supérieur à 3.000 dollars par mois, par équivalence aux prix intérieurs. La population pauvre diminue de 1 % par an, absorbée à l'intérieur du système marchand.


15 % des meilleurs managers mondiaux ont été formés en Inde"

Y a-t-il d'autres facteurs déterminants ?
Oui, la population active qualifiée possède un niveau moyen qui serait meilleur qu'en Chine grâce à un tissu universitaire beaucoup plus développé et ouvert au monde depuis de longues années. Et l'Inde profite d'une excellente réputation quant à ses compétences dans la recherche et en management. 15 % des meilleurs managers mondiaux ont été formés en Inde. L'Inde est aujourd'hui sur le radar de la plupart des entreprises françaises de taille mondiale, ce qui n'était pas vrai il y a encore quatre ou cinq ans.

Des zones géographiques se démarquent-elles au sein du pays ?
L'espace indien se structure suivant un croissant fertile orienté Nord-Sud, et reliant Madras à Bangalor, pour ensuite remonter vers Bombay, capitale de la finance et des services, pour atteindre finalement Delhi et sa région. Le Sud de l'Inde est très dynamique et la région West Bengale au nord-est, avec la ville de Calcutta, est en train de monter en puissance. Au total, on peut dessiner un quadrilatère qui représente 80 % du PIB pertinent de l'Inde. Cette géographie peu concentrée illustre la structure fédérale décentralisée du pays.

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Quel est le risque pays ?
On peut en citer deux. L'Inde à ses propres cycles économiques. Tous les deux ou trois ans, la mousson est mauvaise et la croissance suit alors la même pente. L'autre risque est classique pour les pays émergents et concerne les crises financières ou politiques. S'il n'y a pas de crise majeure à redouter véritablement sur ces deux fronts, les tensions sont inévitables et il faut en tenir compte. Sur le plan financier notamment, la dette publique a fortement augmenté ces dernières années. Avec son voisin pakistanais enfin, les relations sont meilleures en ce moment mais c'est un problème très difficile à régler durablement à court-terme.

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Parcours

Jean-Joseph BOILLOT est professeur agrégé de sciences sociales (1981) et docteur en économie (1988). Après plusieurs années d'enseignement et de recherches sur l'Inde et l'Asie émergente avec le CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales), il a soutenu sa thèse sur le Modèle indien de développement depuis 1947. En 1989, il a rejoint le Ministère de l'Economie et des Finances comme conseiller économique auprès de la DREE pour suivre les processus de transition dans les grandes zones émergentes du monde. Depuis janvier 2003, Jean-Joseph Boillot a rejoint la Direction du Trésor comme conseiller financier pour l'Inde et l'Asie du Sud en poste à la Mission économique auprès de l'Ambassade de France à New Delhi.


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