Dossier
 
03/07/2007

Hervé Laroche (ESCP-EAP) : "Le cas difficile à traiter, c'est celui du sale con avec un beau CV"

Y a-t-il des sales cons célèbres ? Des métiers propices à leur épanouissement ? Comment contenir celui qui est en soi ? Les réponses d'Hervé Laroche, professeur à l'ESCP-EAP.
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Hervé Laroche, professeur de management et stratégie à l'ESCP-EAP © JDN / Agathe Azzis
 

Hervé Laroche, professeur de management et stratégie à l’ESCP-EAP et préfacier de l’édition française d'Objectif Zéro-sale-con, a répondu aux questions des lecteurs de JDN Management et expliqué comment créer un environnement de travail civilisé, garanti "zéro-sale-con".

 

Comment définissez-vous un "sale con" ? Comment distinguer un sale con chronique de quelqu'un qui est simplement de mauvaise humeur ?

Un sale con se reconnaît aux effets qu'il produit sur autrui : on se sent méprisé, humilié, agressé, ou au moins pas reconnu... Et celui qui produit cet effet souvent, de manière répétée, est un sale con "certifié". Sinon, bien sûr, ça arrive à tout le monde de mal se comporter.

A quels comportements quotidiens les reconnaît-on ?

Ils manquent de considération pour les autres, ne les écoutent pas, se montrent péremptoires, agressifs, intolérants, ne sont pas ouverts aux idées et suggestions, imposent leurs avis, les expriment comme des évidences, méprisent les objections... et puis éventuellement pire : ils profèrent des remarques agressives, des insultes, des allusions déplacées...

En quoi sont-ils nocifs pour l'entreprise ?

Ils engendrent des coûts cachés, sous forme de démotivation, retrait, voire absentéisme ou maladie pour les employés. Mais également des effets collectifs : manque de coopération entre les individus, manque de créativité, etc. Et encore : temps perdu à réparer leurs dégâts et éventuellement leurs erreurs.

Y a-t-il des façons de calculer le coût pour l'entreprise de ces personnalités nuisibles ? Y a-t-il des études qui le font ?

Il y a un exemple de calcul dans le livre de Sutton à propos d'un vendeur, excellent professionnel mais sale con patenté. Le principal poste à identifier, c'est le temps passé à gérer le sale con. C'est peut-être une première approximation facile à faire : compter combien d'heures on a passé à s'occuper de cette personne et des gens auxquels elle a fait du mal, puis le valoriser en terme de salaire. Ensuite, il y a d'autres postes, mais ça dépend des situations. Il y a une méthode générale donnée dans le livre, mais à ma connaissance elle n'est pas encore intégrée dans les ERP !

© JDN / Agathe Azzis
"Reconnaître la dimension collective de la performance est un bon moyen de limiter les dégâts"

Quelles mesures peuvent prendre les entreprises ?

Tout d'abord ne pas en recruter ! Ensuite les décourager de rester en montrant que leurs comportements ne seront pas récompensés, même si par ailleurs ils sont performants (sur des critères strictement managériaux). Enfin, si on en a déjà, éviter qu'ils ne se reproduisent : les sales cons ont tendance à recruter d'autres sales cons...

Si quelqu'un se comporte mal avec les autres, il a toutes les chances de transformer ses victimes en sales cons comme lui. Eradiquer ces comportements nuisibles est donc urgent ! Comment traiter le problème… au plus vite ?

Oui vous avez raison. C'est contagieux. Il faut donc apporter un soutien à la victime pour qu'elle ne soit pas tentée de rejoindre les sales cons. Ou mettre en place une résistance collective.

Comment, lors d'un recrutement, détecter quelqu'un dont le comportement risque d'être nuisible une fois embauché ?

Le sale con inefficace est facile à écarter. Ce qui est difficile, c'est le sale con avec un beau CV. Une manière de faire est de se demander si les signes de performance et de compétence ne peuvent pas cacher aussi des signes négatifs révélant un sale con. Une bonne manière de favoriser cela est de soumettre le candidat à plusieurs jugements, plusieurs entretiens et d'en discuter ensuite librement.

S'il y a dans l'entreprise des gens qui se comportent mal, n'est-ce pas (aussi) parce que le système, le mode de management, le modèle économique… bref l'entreprise elle-même les y pousse ?

Bien sûr, c'est souvent le cas. Notamment en récompensant excessivement la performance individuelle, ce qui conforte le sale con potentiel dans son idée qu'il est une personne exceptionnelle qui peut tout se permettre. Une reconnaissance de la dimension collective de la performance est un bon moyen de limiter les dégâts.

Sutton dit que les gens qu'on met au pouvoir ont naturellement tendance à en abuser. Le problème est donc sans fond ! Comment lutter ?

Oui, ça peut paraître sans fond, mais c'est seulement qu'il n'y a pas de solution définitive : il faut toujours s'en préoccuper. Encore une fois, si on ne peut pas changer le système (la répartition du pouvoir), alors il faut organiser des petites résistances, collectives si possible, parce qu'un groupe est toujours plus fort qu'un individu.

Y a-t-il des sales cons célèbres ? Des sales cons qui ont réussi ? Des sales cons qui ont réussi parce qu'ils étaient des sales cons ?

Méchante question ! Hélas oui... Sutton cite plusieurs cas, dont celui de Steve Jobs, le patron d'Apple. Par exemple, Jobs serait mégalomane, excessivement maniaque sur les détails et extrêmement agressif avec ses partenaires et concurrents. Mais deux points sont à garder en tête : 1) il y a d'autres manières de réussir, 2) après tout c'est aussi un choix personnel que de devenir ou non un sale con.

© JDN / Agathe Azzis
"Garder la crainte d'être un sale con est le plus sûr moyen d'éviter d'en devenir un !"

N'y a-t-il pas certains métiers, ou certains types d'entreprise, dans lesquels on réussit mieux si l'on est un sale con ?

Certainement. On rapporte beaucoup de cas dans les métiers où la réputation personnelle est très importante, par exemple les spectacles, les médias, la pub... Les entreprises qui ont une culture très agressive qui favorise la compétition interne sont bien entendu des terrains privilégiés pour les sales cons.

De votre expérience, les sales cons sont-ils les mêmes en France qu'aux Etats-Unis ?

En gros oui. Il y a sans doute des différences, dans les racines (cultures nationales, statuts sociaux, etc.) et dans les formes d'expression, mais le point important est que la tendance me semble aller vers l'égalisation.

Qu'est-ce qu'on doit faire quand le sale con est le meilleur élément de l'équipe ?

Si vous êtes froidement calculateur, faire un bilan : est-ce que ce qu'il rapporte vaut plus que ce qu'il coûte ? Pour cela, garder à l'esprit que ce qu'il rapporte se voit souvent facilement, alors que ce qu'il coûte est souvent caché. Si vous êtes moins calculateur et si vous privilégiez le long terme, alors peut-être faut-il envisager de s'en séparer (si vous le pouvez).

Le sale con de l'un sera l'ami de l'autre, non ? (et vice versa...) N'est-on pas tous le sale con de quelqu'un ? Comment être sûr de ne pas être soi-même un sale con ?

En général il y a un certain consensus sur le sale con certifié. Pour le reste, tout le monde "a ses têtes", c'est normal. Mais ne pas aimer quelqu'un n'en fait pas un sale con, pour la plupart des gens. Quant à soi-même, il vaut mieux ne pas être sûr : garder cette crainte est le plus sûr moyen d'éviter d'en devenir un !

Y a-t-il des sales cons utiles en entreprise ?

Des études en psychologie montre qu'un sale con peut être très utile... en servant de repoussoir ! Il montre à tout le monde ce qu'il ne faut pas être.

Quelles sont les études sérieuses sur lesquelles Robert Sutton s'est appuyé ?

Je ne peux pas en faire la liste ici, bien sûr. Ce sont des études en psychologie, psychologie sociale, et dans ce qu'on appelle organizational behavior, c'est à dire l'étude des comportements dans les organisations (notamment des questions de pouvoir, leadership, rôles, coopération, etc.). Les références sont dans le livre.

Sutton emploie un vocabulaire utilisé dans la vie mais rarement dans les livres et son ton est très émotionnel. Pourquoi les sales cons génèrent-ils des réactions pareilles ? Pourquoi a-t-on autant de mal à prendre le recul nécessaire devant leurs agissements ?

Parce qu'ils touchent à des choses fondamentales - l'identité personnelle, la reconnaissance, l'estime de soi - et à des enjeux importants : travail, carrière, etc. De plus, il y a quelque chose de hors norme, de scandaleux dans leur comportement, puisqu'ils violent des règles sociales qu'on a soi-même à cœur de respecter (avec peut-être du mal parfois !)

© JDN / Agathe Azzis
"Il y a quelque chose de scandaleux dans leur comportement, puisqu'ils violent des règles sociales qu'on a soi-même à cœur de respecter"

Quand on a été victime (du genre Bisounours collaboratif) de sales cons patentés, comment ne pas rester amer, méfiant et désabusé au point de devenir soi-même un sale con ?

C'est toujours une tentation, c'est bien compréhensible. Mais tous les sales cons ne sont pas heureux et ils ne sont pas nécessairement contents d'eux non plus. Surtout , ce qu'il faut peut-être, c'est apprendre à être moins idéaliste (Bisounours...) sans pour autant se faire sale con.

Savez-vous d'où vient l'idée de ce livre ? De votre côté, pourquoi vous êtes-vous penché sur ce problème en particulier ?

C'est un problème qui grandit et représente un enjeu de plus en plus important. Peut-être qu'il y a plus de sales cons. Peut-être aussi que leurs effets sont de plus en plus dévastateurs et de moins en moins tolérés, parce que les gens sont aujourd'hui beaucoup plus engagés personnellement dans leur travail et dans leur entreprise. Ils sont donc plus exposés, plus vulnérables.

N'y a-t-il pas plus de sales cons, ou en tous cas une impression qu'il y en a davantage, avec les communications par email ? Quelle solution ?

Je ne crois pas que l'email produise des sales cons en lui-même. Mais il favorise les réactions immédiates, émotionnelles, et ça provoque des réactions en chaîne... Evidemment les sales cons peuvent en profiter.

Vous qui enseignez en école de commerce, pensez-vous qu'il pourrait exister une pédagogie qui empêcherait que certains (mais combien, d'ailleurs ?) futurs managers soient aussi de futurs sales cons ?

Oui, bien sûr, et elle est souvent pratiquée : apprentissage de la psychologie et du comportement dans les organisations, stages "sur le terrain", notamment. Je ne dis pas qu'on ne puisse pas faire davantage, mais je ne crois pas que le problème trouve sa source dans la formation initiale.

Quand on a eu un comportement de sale con, que doit-on faire pour "réparer" ?

Faire ce qu'on aurait dû faire la première fois : écouter, reconnaître... En général ça suffit, les gens font la différence entre un cas pathologique et un accident ponctuel.

Pensez-vous que la société actuelle favorise la "création" de sales cons ? Est-ce que la mondialisation les favorise ?

Par certains côtés, oui : valorisation de la compétition, récompense aux individus plus qu'aux collectifs, privilèges accordés à certains, etc. Mais d'un autre côté, elle permet aussi la prise de conscience du phénomène.

 


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