Cloud computing : la nouvelle guerre des étoiles

Cloud computing : la nouvelle guerre des étoiles Amazon et Microsoft sont sur la rampe de lancement, mais avec des positionnements parfois différents. Google n'a pas encore franchi le pas.

Dans le sillage des SpaceX, Blue Origine et Virgin Galactic, le new space a vu naître toute une pléiade de start-up. Un terrain sur lequel la France est bien positionnée (lire l'article Les jeunes pousses du spatial français déploient leurs ailes). Sous l'impulsion du privé, les grands projets reprennent. SpaceX a déposé en début d'année une demande auprès de l'agence spatiale américaine en vue de lancer pas moins de 30 000 satellites de télécommunication. La finalité ? Commercialiser, via sa filiale Starlink, une connexion internet haut débit accessible depuis tout point du globe. Une initiative qui intervient alors que la Nasa a pour objectif de ramener l'homme sur la Lune d'ici 2025.

Les acteurs du cloud, au premier rang desquels Amazon Web Services (AWS) et Microsoft, comptent bien profiter de ces nouveaux marchés. Sachant évidemment que tous ces programmes impliquent des quantités massives de ressources de calcul pour traiter les données spatiales et gérer les missions.

"L'ensemble des données collectées par le rover martien Perseverance sont rapatriées sur Terre avant d'être ingérées par AWS"

Face à ces juteuses perspectives, AWS n'hésite pas à cibler frontalement l'exploration spatiale. Le groupe de Jeff Bezos voit grand. Il entend d'emblée être associé au futur projet lunaire américain. "Sur ce point, nous accompagnons Lunar Outpost auquel la Nasa a donné pour mission de poser un rover sur la Lune d'ici 2023. Au lieu de concevoir des simulateurs physiques pour éprouver sa robustesse, Lunar Outpost a décidé d'opter pour un simulateur virtuel en s'appuyant sur les capacités de calcul haute performance d'AWS. Ses équipes de R&D ont créé un jumeau numérique du rover, ce qui leur permet de multiplier les probations de design à moindre coût", explique Clint Crosier, directeur Aerospace et Satellite chez Amazon Web Services.

Parmi ses derniers faits d'armes, le cloud de Seattle a également été retenu par la Nasa comme infrastructure de traitement pour décrypter les données glanées par le rover Perseverance. Sur Mars depuis février 2021, il a pour but de ramener sur Terre des échantillons de la planète rouge en vue de les analyser. "L'ensemble des données collectées par le rover martien sont rapatriées au fil de l'eau, avant d'être ingérées par AWS", ajoute Clint Crosier. "Un consortium global de scientifiques étudie ensuite ces informations en vue de déterminer les prochaines actions du rover."

AWS et Azure embarquent sur l'ISS

Evidemment, certains traitements ne peuvent supporter les latences imposées par les temps de transmission de l'échelle spatiale. Pour répondre à ce défi, Amazon a planché sur une déclinaison d'AWS Snowcone, son boîtier taillé pour l'edge computing déporté. En partenariat avec Axiom Space, l'appliance a fait l'objet d'un réingéniering complet pour la mettre en conformité avec les spécifications de la Nasa. Dans le cadre de ce processus, le boîtier a séjourné 17 jours dans la station spatiale internationale (ISS) pour passer une batterie de tests. Résultat : AWS Snowcone est désormais certifié par l'agence spatiale américaine.

Microsoft s'inscrit lui aussi dans cette dynamique. En lien avec la Nasa et le fabricant de serveur HPE, le groupe a réalisé début 2022 la première preuve de concept d'une application Azure déportée dans l'ISS. Y a été embarqué un modèle de machine learning orienté reconnaissance d'image conçu pour détecter les gants endommagés des combinaisons spatiales. L'avantage : en cas de défaillance vitale identifiées, l'alerte est donnée immédiatement, sans nécessiter un aller et retour avec l'infrastructure terrestre.

Opérer les missions spatiales

Sans surprise, AWS a été choisi par Blue Origine, dont Jeff Bezos est également fondateur, pour développer et opérer sa future station spatiale. Avec un décollage prévu d'ici 2027, le complexe privé tirera parti des ressources IT d'Amazon dès sa phase de conception jusqu'à la gestion des opérations de la station une fois lancée en passant par la mise en réseau satellitaire de l'infrastructure orbitale.

Pour piloter les communications spatiales de ses clients, AWS a déployé un réseau mondial d'antennes, baptisées AWS Ground Station, réparties sur 11 localisations à travers la planète. Le tout connecté directement à ses services (Amazon EC2, Amazon S3…).

Le réseau d'antennes satellitaires d'AWS est réparti sur 11 localisations à travers la planète. © Capture / JDN

Sur la délicate question des déchets spatiaux, AWS affiche la start-up Leolabs parmi ses références. "En tirant parti de notre réseau mondial d'antennes, elle monitore l'activité spatiale en orbite basse. Elle capitalise sur le calcul haute performance d'AWS pour prédire, à partir des différentes orbites, les risques de collision entre les satellites et les 10 000 débris en rotation à cette altitude, et ce en moins de 10 secondes. Ce qui permet aux centres de contrôle d'éviter l'accident en corrigeant les trajectoires en temps réel", souligne Clint Crosier.

Installation de la première antenne de réception satellitaire destinée au cloud Azure de Microsoft. © JDN / Capture

En 2021, Microsoft emboîte le pas à Amazon. Avec l'aide de l'équipementier KSATlite, il entend équiper les centres de données Azure de stations de réception satellitaire. La première d'entre elles est installée aux abords de son data center de Quincy dans l'État de Washington. La nouvelle offre est combinée à Azure Orbital : un centre de contrôle consommable à la demande taillé pour piloter des constellation de satellites. Alors que les références clients du groupe sont encore peu nombreuses dans l'exploration spatiale, Microsoft multiplie les accords pour combler son retard : l'entreprise a signé avec Loft pour s'interfacer avec son système intégré de pilotage de satellites, mais aussi avec Ball Aerospace pour mettre Azure en conformité avec les standards historiques du secteur spatial : sensor open systems architecture (SOSA), universal command and control interface (UCI), open mission systems (OMS).

"Avec Azure Modular Datacenter, nous pouvons grâce à nos liaisons satellitaires projeter Azure sur n'importe point du globe"

Face à AWS, Microsoft compte aussi sur l'industrie spatiale pour répondre à des problématiques nettement plus terre à terre. Par exemple fournir une connectivité Internet haut débit quelle que soit la localisation terrestre. Dans cette optique, le groupe de Satya Nadella a signé avec plusieurs opérateurs télécoms par satellite comme IntelSat, SES, ViaSat ou SpaceX. La finalité : répondre à des besoins de redondance réseau, mais aussi étendre Azure aux régions du monde les plus reculées. "Avec Azure Modular Datacenter qui permet de bénéficier d'un mini-cloud local, nous pouvons ainsi projeter Azure sur n'importe  quel point du globe", commente Xavier Perret, directeur Azure & Support chez Microsoft France.

Lutter contre les effets du changement climatique

Dernier marché investi par Microsoft comme par AWS : celui de l'imagerie géospatiale. Analyse de la croissance des plantations agricoles, suivi des mouvements de bétail, détection voire anticipation des catastrophes naturelles, supervision du trafic routier, optimisation des chaînes d'approvisionnement… L'imagerie satellitaire ouvre des perspectives dans de nombreux domaines. Pour assoir son positionnement sur ce segment, Microsoft affiche des accords avec plusieurs acteurs clés du secteur, au premier rang desquels Esri ou le français Thales Alenia Space. Leurs bases de données viennent nourrir Azure Map. Pour compléter l'édifice, Microsoft intègre à son cloud des outils d'aide à l'analyse d'images géospatiales comme Blackshark.ai ou Orbital Insight.

"Digital Earth Africa fournit aux décideurs africains via AWS des indicateurs pour orienter leurs stratégies en termes de gestion de l'eau, d'industrie, de projets urbains..."

Sur l'imagerie, Amazon fait là encore la course en tête en matière de références client. "La start-up française Kayrros s'appuie par exemple sur AWS pour mesurer et modéliser les émissions de méthane sur plus 1 000 sites européens dans l'énergie en vue d'évaluer les conséquences sur le climat", évoque Clint Crosier. Autre jeune pousse hexagonale recourant à AWS dans l'imagerie géospatiale : Preligens. La société parisienne propose des solutions de vision par satellite à base d'IA pour sécuriser les infrastructures stratégiques : bases militaires, espaces aériens et maritimes, pipelines, centrales nucléaires, réseaux électriques....

Traquer les départs de feu

A ces clients s'ajoutent des fournisseurs d'images satellite reposant sur AWS comme BlackSky ou Maxar. "Digital Earth Africa par exemple se spécialise dans les données géospatiales du continent africain. Son objectif est de fournir aux décideurs locaux des indicateurs pour décider des stratégies d'investissement en termes de gestion de l'eau, d'infrastructures industrielles, de projets urbains... Toutes ces informations sont traitées sur AWS", ajoute Clint Crosier.

Last but not least, la start-up australienne Exci.ai s'appuie sur AWS pour détecter les départs de feu par satellite. En amont, elle récupère ses flux d'images par le biais des stations radar terrestre d'Amazon, puis ses algorithmes de deep learning, hébergés sur le cloud de l'Américain, entrent en action. " Même les petits incendies sont détectés automatiquement en quelques minutes avec un taux quasi nul de faux positifs", peut-on lire sur le site de la société. Une piste de solution qui pourrait peut-être éviter de revivre les incendies record vécus en France cet été.