Fabrice Grinda (Serial-entrepreneur) "Pourquoi je n'ai pas investi dans Uber"

Le serial-entrepreneur revient sur ses dernières créations de sociétés et ses multiples investissements : succès, pépites, ratés...

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Fabrice Grinda lors de la French Touch Conference, le 19 juin dernier à New York. © Image Singulière

JDN. Quelle est votre activité depuis la vente d'OLX ?

Fabrice Grinda. J'ai quitté OLX début 2013. J'ai alors commencé à analyser quelles étaient les grandes tendances dans les places de marché au sens large : les sites intermédiaires entre acheteurs et vendeurs. C'est le secteur que j'aime le plus. Ces places de marché sont en train de faire de plus en plus de travail pour accompagner et aider l'acheteur et le vendeur et leur simplifier la vie. J'ai listé toutes les catégories (immobilier, voitures, meubles, mode...) pour voir ce qui était fait –et dans ce cas-là investir si possible dans les sociétés- et ce qui ne l'était pas –et dans ce cas créer une boîte. Ces trois derniers mois, j'ai investi dans 20 sociétés –j'en ai donc 140 au portefeuille- et je suis en train de clôturer dix autres deals.

 

Et du côté des créations de sociétés ?

J'en ai lancé trois, qui suivent toutes cette philosophie. Beepi révolutionne le marché de la voiture d'occasion aux Etats-Unis : on peut vendre sa voiture en quatre clics. On renseigne la marque, le modèle, l'année et kilométrage et Beepi propose un prix. S'il est accepté par le vendeur, un inspecteur vient prendre les photos et élaborer l'annonce. Beepi se charge ensuite de la livraison à l'acheteur, et prend une commission de 10%. Lancée il y a trois mois, elle devrait faire 7 ou 8 millions de dollars au moins cette année. Le deuxième société, Lofty, est une place de marché d'œuvres d'art, où l'on prend également tout en charge pour le vendeur : description, estimation, garantie d'authenticité... Lofty s'appuie sur un réseau de centaines d'experts et là aussi, la start-up se charge de la livraison. Elle prend 25% de commission. Enfin, je suis en train de lancer une troisième boîte, une place de marché de luxe, un peu comme Vestiaire Collective ou Vide-dressing mais plus haut de gamme. Les trois s'attaquent au marché américain. Je m'occupe du produit et je suis aussi chairman de ces sociétés.

 

Comment choisissez-vous les PDG ?

Ils ont déjà travaillé pour moi en tant qu'analystes. Je reçois tellement de dossiers de start-up que je fais appel à deux à quatre analystes par an pour les étudier. Ce sont des étudiants en deuxième année de Business School à Columbia, Harvard, Stanford ou MIT, et ils travaillent à temps partiel jusqu'à leur graduation. A ce moment-là, ils peuvent décider de devenir CEO d'une société que je crée. A ce jour 100% ont fait ce choix. Le premier a été Morgan Hermand-Waiche, avec qui j'ai lancé le site de lingerie Adore Me.  

 

Quel est votre rythme d'investissement ?

Mes analystes étudient 100 dossiers par semaine et je rencontre 25 entrepreneurs par semaine, pour un investissement tous les 15 jours. Mais cette année le rythme a été plus élevé encore... Je pourrais terminer 2014 avec 50 ou 60 participations !

 

Où investissez-vous ?

Sur mes 140 investissements early-stage, 60% sont situés aux Etats-Unis (dont 50% à New York) et 40% dans le reste du monde, répartis entre la France, la Grande-Bretagne, le Brésil, la Russie, la Turquie et l'Allemagne.

 

Parmi vos investissements, quelles pourraient être les prochaines pépites ?

"Une grande réussite : Brightroll, qui entrera bientôt en bourse"

C'est difficile à dire... Parmi mes vieux investissements, c'est facile de savoir quels sont les mieux valorisés. Beaucoup sont déjà entrés en bourse. J'ai dans mon portefeuille deux types d'investissements : 140 investissements d'amorçage, et d'autres late-stage. Dans la première catégorie, les start-up plus intéressantes sont Adore Me, site de vente de lingerie ; Brightroll, plus gros réseau de ventes de publicité au monde qui vaut entre 400 et 500 millions de dollars et qui devrait s'introduire en bourse cette année ou l'année prochaine ; Windeln, le Diapers.com allemand qui devrait aussi s'introduire en bourse dans les 12 prochains mois ; Delivery Hero, gros site de livraison de nourriture en Europe ; Ticketbis, l'un des plus gros sites de ventes de billets d'occasion, qui fait 50 ou 100 millions de CA...

 

Et parmi vos investissements en late-stage ?

Mes plus grandes réussites sont Alibaba Group, Airbnb, Spacex, Spotify, Lending Club... Mais j'ai moins de mérite puisque ces sociétés marchaient déjà vraiment bien quand j'y ai investi. Sur Brightroll par contre, au contraire, je pourrais faire du x300 en retour sur investissement.

 

Quel est votre bilan global en tant qu'investisseur ?

Sur mes 40 sorties, je compte 22 réussites et 18 échecs, ce qui est plutôt bon. D'autant que cela reste mon deuxième métier : je passe 50 à 60 heures par semaine à gérer les boîtes que je crée, et je consacre aux investissements entre 20 et 30 heures supplémentaires.

 

Des regrets ?

"L'idiot qui n'a pas investi dans Uber"

Les "should have, could have, might have", j'en ai des dizaines ! Je suis l'idiot qui n'a pas investi dans Uber du début à la fin, alors que j'aurais pu le faire à chaque tour. Mais j'ai refusé, d'abord parce qu'ils avaient l'ambition d'être mondiaux et de lever 500 millions de dollars. Je me suis dit que si j'investissais mes malheureux 100 000 dollars et que derrière ils levaient 500 millions, il y aurait 99% de chances, de par leurs ambitions mondiales si grandes, que jamais je ne les récupère : puisqu'il y a des liquidations préférentielles et que les derniers investisseurs récupèrent leur argent en premier, si la boîte se vend 200 millions, les premiers ne récupèrent rien. Au tour valorisé à 3,2 milliards, avec Google, j'ai vu qu'ils faisaient 18 millions de dollars nets de chiffre d'affaires par mois pour une perte équivalente. Je pensais que c'était une boîte extraordinaire mais j'avais du mal à justifier une telle valorisation... ça me paraissait cher, mais in fine ils le justifient haut la main. J'ai aussi vendu bien trop tôt mes parts dans Tencent. Si je les avais gardées , elles auraient valu dix fois ma fortune personnelle actuelle au moment de l'IPO !

 

Comment prenez-vous la décision finale d'investir ou non ?

Je me pose quatre questions. Est-ce que l'équipe me plaît ? Le produit me plaît ? La valorisation me va ? Le concept, le modèle économique, la taille de marché me conviennent ? Si je réponds oui aux quatre questions, j'investis. Ensuite, je ne vais pas au board, je ne veux pas de reporting. Si les entrepreneurs veulent mon avis, ils peuvent me contacter.

 

Tenez-vous déjà l'idée de votre prochaine société ?

Six ou sept idées sont en cours d'études... Mais je n'en crée "que" deux par an.

 

Pourquoi choisir l'écosystème new-yorkais plutôt que la Silicon Valley ?

A l'époque où je développais Zingy, j'avais besoin de licences de musiques et je devais travailler avec les opérateurs. Or, tous les labels sont à New York et Los Angeles et il y a plus d'opérateurs téléphoniques à New York. Je me suis donc installé ici. New York est aussi central pour aller partout dans le monde, ce qui était primordial pour gérer OLX. Et puis mon choix est aussi guidé par des raisons personnelles : je rentre plus facilement à Nice, pour voir ma famille. Enfin, la vie intellectuelle y est plus dynamique –San Francisco est trop axé tech. Mais je reconnais que pour les domaines purement "tech", la Silicon Valley est plus adaptée : les capitaux y sont plus disponibles, le marché des early adopters meilleur, et il y a davantage de très bons ingénieurs.

 

Le JDN a rencontré Fabrice Grinda dans le cadre de la French Touch Conference, qui s'est déroulée les 26 et 27 juillet à New York.

 

Né à Boulogne-Billancourt, Fabrice Grinda s'envole aux Etats-Unis en 1992 et étudie l'économie à Princeton. Serial entrepreneur, il a créé International Computers aux Etats-Unis, puis Aucland.fr, le premier site d'enchères français d'enchères en ligne, revendu en 2000. Il fonde ensuite Zingy, spécialisée dans les jeux, sonneries et fonds d'écran pour mobiles, revendue en 2004. En 2006, il crée OLX, hébergeur de petites annonces revendu quatre ans plus tard. Il quitte son poste de direction fin 2012. Depuis, il continue de créer des sociétés et exerce une activité prolifique de business angel.