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(juin 2004)

Jean-Paul Juès (ESG)
"J'ai été suspecté de connivence avec la CFDT"

Cet ancien DRH et professeur à l'ESG a négocié de nombreux accords avec des syndicats. Il est aussi spécialiste des cadres en France.
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Le retour des revendications
Pierre Lacombe (Dassault Aviation)
Marc-Antoine Marcantoni (Thales Communications)

Ancien directeur des ressources humaines de grands groupes, professeur à l'ESG et auteur de différents ouvrages sur les cadres, Jean-Paul Juès est un observateur privilégié du syndicalisme cadre. Il revient sur l'historique de ce mouvement et sur le rôle de l'activité syndicale au sein de l'entreprise. Un domaine qu'il connait bien, pour avoir négocié à maintes reprises avec des délégués syndicaux.

Quelles grandes évolutions ont-elles marqué le syndicalisme cadre depuis la Libération ?
Jean-Paul Juès. En France, un seul syndicat de cadre existait à l'origine, la Confédération générale des cadres. Il était modéré et relativement proche du patronat. Les autres syndicats, la CGT, la CFTC, la CFDT, puis CGT-FO, restaient essentiellement ouvriers. Ils étaient politisés, ce qui est propre à la France. Dans les années 60, ces syndicats dits ouvriers ont progressivement créé des sections cadres. La CGC a donc connu une forte concurrence et a perdu de son audience. Elle s'est alors durcie et a élargi son recrutement aux techniciens et agents de maîtrise, en ajoutant "Confédération française de l'encadrement" à son appellation.

Peut-on évaluer le nombre d'adhérents des différents syndicats de cadres ?
Le nombre d'adhérents reste confidentiel. L'employeur ne sait pas qui est syndiqué, et il n'a pas à le savoir. Seuls les élus sont connus, mais ils ne représentent pas le gros des effectifs des syndiqués. Par conséquent, les données dont nous disposons proviennent des syndicats eux-mêmes, qui ont souvent tendance à gonfler les chiffres. En France, le taux de syndicalisation reste très faible, aux alentours de 7 à 8 %, sachant que ce taux est de 15 % dans le public, et probablement de 5 % dans le privé. Pour les cadres, le taux de syndicalisation doit se situer dans le même ordre de grandeur. Mais cela ne signifie pas que les syndicats ne sont pas représentatifs. Ils ont beaucoup de sympathisants, prêts à se mettre en grève.

Le syndicalisme cadre s'est développé dans les années 80. Pour quelles raisons ?
Dans les années 80, la France a connu les premiers licenciements massifs, notamment dans la métallurgie ou le textile. Des usines ont fermé. Les licenciements ont aussi touché les cadres, alors qu'ils représentaient auparavant une catégorie protégée. Cela a provoqué un véritable tremblement de terre sociologique. Par conséquent, la CGC est devenu de plus en plus revendicatrice. Elle a continué à recruter, mais a aussi subi la concurrence d'autres syndicats.


Cela ne leur venait pas à l'esprit d'évoluer professionnellement"

Le nombre de syndiqués a ensuite baissé. Comment expliquez-vous cet essoufflement ?
Les esprits se sont calmés. Les cadres ont vu qu'ils avaient beau être syndiqués, cela ne changeait pas le problème des licenciements. Aujourd'hui, la CGC reste un syndicat modérément revendicatif. Quant aux autres sections syndicales, elles sont très revendicatives.

Les avantages des cadres sont-ils réellement menacés aujourd'hui ?
Les avenants des Conventions collectives sont plus avantageux pour les cadres. Ces avantages concédés aux cadres répondaient à un besoin de fidélisation dans les années 50. En tant que DRH, je cherchais à aligner progressivement les conditions des non cadres sur ceux des cadres. Les cadres ne perdaient rien, si ce n'est un avantage par rapport aux autres. Le nivellement par le bas que certains craignent n'est pas évident. Les Conventions collectives ne se modifient pas si facilement. En tant que commissaire social, j'ai participé à des négociations au niveau des branches. Les textes restaient relativement stables, mises à part les primes d'ancienneté qui ont été revues à la baisse ou supprimées pour la plupart des cadres. Dans le secteur bancaire par exemple, un cadre ayant une ancienneté de 25 ans recevait une prime de 25 % de son salaire.

En tant que DRH, avez-vous constaté que les cadres syndiqués avaient moins de possibilité d'évolution ?
Dans les entreprises où j'ai travaillé, les cadres syndiqués s'investissaient beaucoup dans leurs activités syndicales. Cela ne leur venait pas à l'esprit d'évoluer professionnellement. Mais nous ne pratiquions pas de discrimination dans les promotions. Il n'y a aucune raison de ne pas faire évoluer un syndiqué s'il en est capable et s'il en a envie.


Des différends politiques et des incompatibilités d'humeur"

Parveniez-vous à distinguer les négociations avec les cadres syndiqués de vos relations dans le cadre professionnel ?
Je négociais régulièrement des accords d'entreprise ou des accords de fin de grève avec les délégués syndicaux. Ce n'est pas facile de se dire les choses en face-à-face. On se sent sans arrêt agressé. Mais en réalité, tout le monde se respectait. En tant que DRH, il faut savoir jouer sur plusieurs tableaux. Par exemple, un délégué CFDT était très pugnace, ce syndicat étant à l'époque particulièrement revendicatif. Nous nous bagarrions pendant les réunions, mais nous nous saluions ensuite normalement. Constatant les qualités réelles de ce délégué syndical lors des négociations, j'ai demandé sa promotion au poste de chef de secteur. Le directeur régional a eu du mal à l'accepter. Du coup, j'ai aussi été suspecté de connivence avec la CFDT... Finalement, nous avons fait l'essai et cela s'est très bien passé. Ce délégué n'a par ailleurs pas interrompu ses activités syndicales.

Est-il plus difficile pour un n+1 d'accepter qu'un cadre de son équipe soit syndiqué ?
Les supérieurs directs s'inquiètent souvent du temps passé pour les activités syndicales. Ils sont tentés de croire que les syndiqués ne font rien pendant les heures de délégation. Par ailleurs, il existe souvent des différends politiques ou des incompatibilités d'humeur.

Le retour des revendications
Pierre Lacombe (Dassault Aviation)
Marc-Antoine Marcantoni (Thales Communications)

Peut-on être cadre supérieur et syndiqué ?
Tout à fait. Je me rappelle d'un directeur régional, responsable des forces de ventes et des entrepôts, à savoir un poste clé, qui avait été élu au Comité d'établissement, que je présidais par ailleurs. J'ai dû négocier avec lui, et ce n'était pas plus facile qu'avec un autre. C'était étonnant de le voir négocier. Il faisait abstraction de son niveau hiérarchique. Cependant, il est vrai que nous étions plus fréquemment amenés à discuter de manière informelle. Et les conversations de couloirs jouaient un rôle majeur dans les négociations. Les échanges étaient donc moins passionnés et souvent constructifs. Je me souviens également d'un délégué syndical FO technicien ou agent de maîtrise qui m'avait dit en aparté quelle serait sa position lors d'une négociation. Il était obligé de soutenir cette voie alors qu'il n'y adhérait pas, et tenait à m'expliquer pourquoi.

Parcours

Diplômé d'HEC, Jean-Paul Juès a été directeur des ressources humaines dans différentes entreprises du secteur de l'industrie pharmaceutique et de l'alimentaire. Il est aujourd'hui professeur de gestion des ressources humaines à l'ESG (Ecole supérieure de gestion). Il est notamment l'auteur de "Les cadres en France", (mars 1999, Presses universitaires de France, collection "Que sais-je ?") et de "Gestion des ressources humaines : principes et points clés" (octobre 2002, aux éditions Ellipses).


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