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ENTREPRISE
 
11/10/2006

Nicolas Leterrier (Minalogic)
"Les entreprises de notre pôle sont en coopétition"

Quel est l'intérêt d'entrer dans un pôle de compétitivité ? Comment des entreprises concurrentes collaborent-elles ? Réponses avec le délégué général du pôle Minalogic, pionnier grenoblois des nanotechnologies.
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Créé le 5 décembre 2005 à Grenoble et décrété pôle mondial de compétitivité par le Premier ministre, Minalogic regroupe aujourd'hui 68 partenaires, parmi lesquelles des géants de l'industrie comme Schneider Electric et STMicroelectronics mais également des entreprises beaucoup plus petites ou encore des laboratoires de recherche - CEA, INRIA, CNRS, Verimag, etc - et des établissements de formation. Leur objectif commun : marier micro-nanotechnologies et intelligence logicielle pour fournir des produits miniaturisés intelligents. Comment cela fonctionne-t-il ? Réponses avec Nicolas Leterrier, délégué général de Minalogic.


Que doit faire une entreprise pour entrer dans votre pôle ?
Nicolas Leterrier. En dehors de la localisation géographique, il faut avoir une activité de R&D dans le périmètre du pôle d'aujourd'hui mais également de demain. Ainsi la société Sofileta, membre de notre pôle, fabrique du tissu avec de l'électronique embarquée, ce qui permet de transformer en énergie la chaleur du corps, par exemple pour recharger un téléphone portable. C'est un domaine d'application tout à fait compatible avec notre orientation. Concrètement, une entreprise qui souhaite nous rejoindre remplit un dossier de deux pages, nous allons la visiter, puis elle fait examiner sa candidature par notre conseil d'administration. Les décisions y sont le plus souvent prises à l'unanimité. Sinon, la majorité simple suffit. Et si un membre du conseil est en concurrence directe avec la société candidate, il ne vote pas.

Vous acceptez donc des entreprises concurrentes ?
Les entreprises de notre pôle sont en "coopétition". Elles sont certes en compétition, mais décident de mutualiser leurs moyens pour être plus performantes. Comme si Renault, Daimler Chrysler et Toyota décidaient de monter une usine commune pour produire chacune de leurs voitures : si les voitures qui en sortent sont de bonne qualité et moins chères, ils y gagnent. Dans un pôle de compétitivité, les entreprises poussent la coopération plus loin.

Pourquoi peuvent-elles collaborer davantage que dans l'industrie automobile ?
La haute technologie a beaucoup souffert dans les années 1999-2000. Les industriels ont dû se confronter à des questions d'innovation, de coût, de productivité... Et avec les aléas du marché, ils n'étaient pas toujours sûrs de remplir leurs unités de fabrication. Il fallait donc se mettre à plusieurs pour pouvoir investir. La haute technologie est arrivée plus vite à ce genre de coopération que les autres secteurs.

Recevez-vous plus de candidatures sur certains types d'activité que sur d'autres ?

L'avenir de l'industrie est le travail mutualisé qui, seul, répond au besoin croissant de compétences pointues."

Pas vraiment, non. Il y a réellement de la place pour tout le monde. Le champ d'application des nanotechnologies et du logiciel embarqué est extrêmement vaste. 240 milliards de microprocesseurs sont vendus dans le monde chaque année, et les nanotechnologies peuvent rendre les composants plus petits, plus performants et moins consommateurs d'énergie. La concurrence qui existe est saine : il est plus profitable pour les entreprises de notre secteur de s'allier. Cela leur permet d'aller beaucoup plus vite entre le moment où elles trouvent une idée et le moment où le produit est mis sur le marché. Par contre, cela fait partie des choses compliquées à gérer sur un pôle de compétitivité : faire travailler les gens en mode coopératif.

Très concrètement, comment vous y prenez-vous ?
Au début, on les encourage à travailler ensemble. On crée un climat de confiance, notamment en définissant clairement les choses d'un point de vue juridique, et on insiste beaucoup sur l'aspect humain. Il faut ensuite les convaincre de rester ensemble, pour qu'ils ne se disent pas "j'en sais assez pour me lancer seul". Mais ce n'est pas tout : il faut aussi veiller à ce qu'ils n'échangent pas trop d'informations ! Les collaborateurs d'entreprises différentes qui ont travaillé ensemble trois ou quatre ans ont tendance à partager des informations même confidentielles. Il s'agit alors de leur rappeler que leurs intérêts ne sont pas tous communs…

Quels arguments avancez-vous pour convaincre des entreprises de travailler ensemble ?
Le premier avantage de telles collaborations est de bénéficier d'un réseau. Le nouvel entrant sera en contact direct avec cinquante sociétés de très bon niveau. Ses projets se monteront plus vite et plus facilement car il trouvera un financement rapide et des moyens mutualisés. Par exemple, mieux vaut louer un microscope à balayage électronique pour trois jours que d'en acheter un. Cela n'est possible que par la mise en commun des ressources. De même pour les collaborateurs : dix entreprises délèguent chacune une personne, mais récupèrent le travail de dix. Par quel autre moyen obtenir un tel rendement ? Au final, je crois fermement que l'avenir de l'industrie est le travail mutualisé qui, seul, répond au besoin croissant de compétences pointues.

Un exemple ?
Prenez un téléphone mobile avec appareil photo intégré. La lentille, c'est de l'optique ; le boîtier, de la mécanique ; la mise au point, de la micromécanique ou de l'électromécanique ; il faut aussi de la reconstruction d'image et des communications. Le tout est un produit gagnant pour l'ensemble des sciences, donc des sociétés, qui participent au projet. Le pôle, en facilitant leur collaboration, permet des progrès plus rapides, ce qui constitue le meilleur avantage concurrentiel.

PME et grosses entreprises tirent-elles autant profit les unes que les autres de leur participation à Minalogic ?

D'ici la fin de l'année, nous allons présenter seize autres projets au conseil d'administration : le rythme s'accélère."

Absolument. Les petites entreprises très innovantes savent parfois aller nettement plus vite que les grandes structures. Ces dernières ont pour leur part besoin de certaines "briques" qu'elles puisent parmi les PME. Toutes ont accès aux technologies de partenaires fiables. Et toutes profitent de synergies avec les laboratoires et les établissements de formation qui leur fournissent des employés formés précisément à leurs besoins. Ce dernier point est très important pour le pôle. Imaginez un industriel japonais qui a besoin d'employés sachant maintenir une salle blanche. Peut-être qu'au lieu de s'installer en Inde ou ailleurs, il ouvrira son prochain centre de R&D à Grenoble.

En quoi les entreprises très innovantes pourraient avoir besoin d'un pôle ?
Soitec, qui produit du silicium sur isolant - matériau pour circuits intégrés - a été créée il y a douze ans avec treize personnes. Depuis six ans, Soitec double son chiffre d'affaires tous les ans. Aujourd'hui, elle emploie 750 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros. Sa technologie est unique et ses client prestigieux (Intel, AMD, Sony, Microsoft…). Pourtant, Soitec n'a pas hésité à monter un projet avec huit autres sociétés et quatre laboratoires de recherche. Elle ne peut pas tout maîtriser et a besoin de ce fantastique effet de levier pour s'assurer une vitesse de développement à la hauteur de ses ambitions.

Quels sont les freins les plus importants au fonctionnement de votre pôle ?
La première difficulté est évidemment de convaincre les entreprises de travailler ensemble. Et une fois que l'on s'est mis d'accord sur le "quoi", reste à s'accorder sur le "comment". Par ailleurs, il n'est pas toujours facile pour l'Etat, qui a annoncé des aides, de suivre ses engagements. Même chose pour les collectivités locales, qui ne sont pas habituées au rythme des industriels. Or ce qui compte dans l'industrie, c'est d'aller vite ! Tout retard est pénalisant. Enfin, il n'est pas toujours facile de faire collaborer des mondes différents. Le chercheur veut publier ses travaux le plus tôt possible, tandis que l'industriel préférerait attendre pour cela que son produit soit sorti. Il nous faut donc montrer au chercheur qu'il sera bien plus fier s'il peut dire que son invention est présente dans 50 millions de produits que s'il fait une conférence à San Francisco devant 200 personnes du sérail. Peu à peu, en valorisant l'intérêt commun autour du projet, les deux mondes se comprennent mieux.

Plus de 30.000 personnes travaillent à des projets Minalogic et les entreprises continuent de postuler. Prévoyez-vous un périmètre à ne pas dépasser ?
Notre périmètre géographique se limite à la zone entre Grenoble, Valence, Saint-Etienne et Annecy mais notre terrain de jeu est mondial : pour l'instant, nous ne voyons pas de limite. Cela dit, nous sommes attentifs à nous développer de façon éthique. Nous ne voulons pas chasser de la région tous les habitants qui ne travaillent pas dans la haute technologie ! Or on constate déjà une hausse de l'immobilier. Il ne faut pas que les autres industries s'en aillent, mais au contraire savoir partager le gâteau, faire en sorte qu'il soit possible d'augmenter la valeur ajoutée des autres productions traditionnelles de la région. Ce que nous faisons par exemple pour le textile. C'est la volonté du pôle, mais aussi des entreprises membres, qui n'ont pas intérêt à ce que leurs salariés aient une heure de voiture pour venir travailler ou que l'on manifeste devant leurs usines. Il est important pour nous tous de conserver l'attractivité qui nous distingue tant de Paris.

L'une de vos fonctions consiste également à évaluer le pôle. Vos conclusions ?
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Minalogic
Cette année, seize projets ont été labellisés "Minalogic", pour une enveloppe totale d'un milliard d'euros d'investissement industriel de R&D. Rien que pour la fin de l'année, nous allons présenter seize autres projets au conseil d'administration, donc le rythme s'accélère. D'ailleurs, nous sommes aujourd'hui 16 entreprises de plus que les 28 entreprises fondatrices. D'autre part, l'Etat va progressivement se désengager : ses financements, dégressifs, prennent fin dans deux ans. Certains pôles risquent de s'arrêter, car les cotisations de leurs adhérents ne suffiront pas à les faire vivre. Pour notre part, cela nous permettra d'être plus indépendants et plus autonomes.


Parcours

Nicolas Leterrier est titulaire d'une maîtrise électronique de Paris XI Orsay et d'un diplôme d'ingénieur de l’Ecole des Techniques du Génie Logiciel. Après un an chez Gaz de France à la direction des études et techniques nouvelles, il rejoint ST Microelectronics en tant qu'ingénieur de développement logiciel embarqué. Il reste quatorze ans chez le fabricant de semi-conducteurs, où il devient directeur d’une équipe basée en Inde en coordination avec une équipe grenobloise. Il est recruté comme directeur de la R&D chez KIS Photo, qu'il quittera pour prendre sa fonction de délégué général du pôle de compétitivité Minalogic, à Grenoble.



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