Alexandre Viros (Oui.sncf) "Après chaque annonce du gouvernement, les recherches de trajets sur Oui.sncf sont multipliées par 5 ou 10"

Le JDN poursuit sa série d'interviews de dirigeants face au coronavirus. Le directeur général de la filiale de vente de voyages en ligne de la Sncf explique comment ses équipes se sont recentrées sur l'après-vente et évoque sa stratégie de reprise post-confinement.

JDN. L'Etat a fortement réduit l'offre de trains, tandis que le confinement a provoqué un effondrement de la demande. Avec quelles conséquences pour Oui.sncf ?

Alexandre Viros est le directeur général de Oui.sncf © Oui.Sncf / Alexandre Nestora

Alexandre Viros. Nous sommes face à une crise hors normes. Notre priorité a été d'informer et d'accompagner nos clients. Nous avons mis en place une équipe pluridisciplinaire  – business, tech, service client – de 30 personnes pour gérer cette forte demande d'après-vente et de clarification. Entre mi-mars et fin avril, nous avons dû gérer 2,4 millions d'échanges, d'annulations et de remboursements de billets. La grande majorité concernait des remboursements. On peut toujours acheter des billets, mais avec une offre très dégradée. Nos clients peuvent annuler et se faire rembourser intégralement tout billet de train jusqu'au 24 juin. L'essentiel de nos actions aujourd'hui est dans l'après-vente et la relation client, plutôt que dans les ventes de billets, qui sont très faibles.

Avez-vous mis en place des initiatives pour aider à lutter contre la propagation du coronavirus ?

Nous avons lancé avec l'Inserm et la start-up Allo-Media le 27 avril Allo Covid, un numéro national pour informer et assurer le suivi en en temps réel de l'épidémie grâce à l'intelligence artificielle. L'utilisateur peut appeler le numéro, et en fonction de ses réponses, un bot conversationnel l'oriente vers le service médical le plus adéquat. Grâce à ces réponses, nous pourrons ensuite construire des bassins statistiques par commune sur la propagation du virus.

Cette période à vide, en particulier avec les ponts de mai ratés, va faire un énorme trou dans votre bilan. Comment comptez-vous le résorber ?

Nous avons été amenés à prendre un certain nombre de mesures de frugalité. Nous avons mis en place du chômage partiel, coupé nos dépenses de marketing et communication, et repoussé certains projets. Pour le moment, nous n'avons pas demandé de prêt garanti par l'Etat car nous avions une trésorerie assez saine avant la crise (la maison-mère Sncf a demandé un plan d'aide à l'Etat début mai, ndlr).

Les développements de nouvelles fonctionnalités sur vos sites et applis font-ils partie des projets mis en pause ?

Nous avons au contraire accéléré sur un certain nombre de projets, notamment la réservation numérique, y compris pour des cas particuliers pour lesquels elle n'était pas possible. Nous travaillons aussi à stimuler les usages numériques comme le NFC sur les TER. Nous élargissons l'éventail d'actes d'après-vente qui peuvent être réalisés en ligne pour les TGV. Nous travaillons également sur l'anticipation de l'affluence dans nos trains sur le réseau TER, où toutes les places ne sont pas réservées comme dans les TGV. En comparant le nombre de réservations à l'avance d'un train et le nombre de personnes effectivement dans le train grâce à la géolocalisation, nous pourrions attribuer de manière prédictive un score d'affluence à nos trains. Ce qui permettrait de prévenir le client et lui conseiller de choisir un autre train si celui qu'il souhaite prendre risque d'être bondé. 

Comment préparez-vous le déconfinement ? Craignez-vous que la peur du virus favorise la voiture individuelle au détriment des transports de masse comme le train ?

Bien sûr, ce risque nous inquiète. L'industrie des mobilités peut craindre un retour de la voiture individuelle. Charge à nous de faire tout ce qui est possible pour rassurer nos clients. Nous allons mettre en place un marketing du comportement, qui comportera un axe "En train, tous responsables", avec une charte SNCF qui fixera un certain nombre de règles à respecter. Le point positif est que la crise actuelle peut-être une occasion de remettre la France au centre des destinations de vacances, puisqu'on ne pourra probablement pas partir à l'étranger. La destination France est l'une des forces de la SNCF. 

Notre deuxième point de vigilance concerne la clientèle professionnelle. Ces clients se sont habitués à télétravailler et moins se déplacer pour des réunions. Nous devrons rappeler que le train est aussi un espace de travail, qu'on n'y perd donc pas de temps et qu'il s'agit d'un moyen bien plus écologique que la voiture pour se déplacer. Si nous réussissons à faire passer ces messages, les éléments d'une formule gagnante pour la reprise sont là. Une fois que les gens pourront se projeter dans un avenir plus clair en termes de déconfinement, nous aurons un afflux de commandes. L'envie est là, nous le voyons bien : après chaque annonce du gouvernement, les recherches de trajets sont multipliées par 5 ou 10.

Alexandre Viros est directeur général de Oui.sncf et e.Voyageurs Sncf depuis 2018, après huit ans chez Fnac-Darty, où il occupait le poste de vice-président en charge du numérique et du marketing.

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