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03/04/2007
Olivier Rivière : "Pour manager plusieurs cultures, il faut oublier ses références"
Olivier Rivière est installé en Allemagne depuis vingt ans. Après quelques années chez Intel, il est devenu vice président marketing d'Ixos, éditeur de logiciel allemand. Depuis deux ans et demi, il est vice président Europe, Moyen-Orient et Afrique de Text 100, cabinet de conseil en communication et relations publiques. Il pilote une équipe internationale de 12 personnes réparties dans toute l'Europe de l'Ouest, une autre 100 % allemande constituée de 25 personnes et il travaille avec 35 directeurs de clientèle eux aussi dispersés en Europe.
Comment modulez-vous votre management en fonction des nationalités de vos collaborateurs ? Olivier Rivière. J'ai à conduire des changements assez importants au niveau paneuropéen. A la Scandinavie et la Grande-Bretagne, j'indique des objectifs très "business", dont ils s'acquittent en me donnant peu de feedback. La recherche de consensus des Allemands les pousse à me poser beaucoup de questions, ce qui rend très visibles leurs zones d'inconfort, qui à l'inverse seraient imperceptibles chez les Suédois.
Il s'agit donc de développer et d'utiliser différents modes de management et de prise de décision adaptés à chaque pays. Mais globalement, la méthode consiste à convaincre plutôt qu'à imposer. Bien sûr je peux dire "il faut absolument que nous fassions ça", mais je m'applique alors à apporter des explications à chacun avant de faire une communication globale. Cela dit, en interne, même si nous sommes très sensibles aux spécificités de chaque pays, nous essayons petit à petit d'introduire une certaine norme... en restant très prudents dans la façon dont on la met en place. Entre s'adapter à chaque culture et imposer une culture d'entreprise normalisée, où mettre le curseur ? Définir un certain nombre de normes est nécessaire. Une structure qui est un tissu de relations personnelles peut fonctionner à 20 personnes, mais pas à 4 ou 5 pays. L'entreprise doit tendre vers un mode de fonctionnement où personne n'est irremplaçable, ce qui est plus facile à réaliser si elle a défini les façons de collaborer. En même temps, il faut laisser un degré de liberté maximal aux équipes, en particulier dans les métiers très intellectuels ou créatifs. Tout l'art - et le plaisir - de manager est de combiner le côté artiste et unique des collaborateurs avec une structure légère mais efficace. Très concrètement, nous voyons régulièrement le siège londonien de certains de nos clients, très centralisés, vouloir imposer un reporting à toutes leurs branches européennes. Typiquement, les Français et les Espagnols trouveront ce reporting trop rigide. La difficulté consiste donc à ne normaliser que les process constituant la "plomberie" absolument nécessaire au fonctionnement de l'entreprise, de façon à ne pas risquer de perdre l'implication de certaines équipes locales.
Qu'en est-il des relations informelles au travail ? Constatez-vous des différences entre les nationalités ? Les Allemands et les Anglais critiquent les Français et ont tendance à dire que nous parlons beaucoup autour de la machine à café et donc, que nous partons plus tard le soir. Pour ma part, je considère plutôt que de ces discussions informelles sortent souvent de très bonnes idées. Les Allemands mesurent davantage leur temps de travail, comme les Américains, et considèrent que les Français ou les Italiens ne sont pas efficaces. Je l'ai particulièrement perçu chez Intel, où se côtoyaient 25 nationalités différentes et où chaque groupe conservait ses spécificités culturelles.
Beaucoup de vos clients actuels ont leur siège à Londres. Qu'est-ce qui vous marque dans leur façon de travailler ? Nos interlocuteurs sont souvent des Anglais qui n'ont travaillé qu'à Londres, New York ou Hong-Kong, donc dans des cultures d'entreprise très anglaises. Le challenge consiste à faire comprendre à ces gens talentueux, mais de peu d'expérience internationale, comment faire pour ne pas apparaître comme "l'Anglais qui dicte". La difficulté est d'autant plus grande que les Britanniques sont souvent très concis dans leur expression. Ce peut être perçu comme brutal alors que ce n'est pas intentionnel. Les Anglais qui n'ont pas vécu à l'étranger n'en sont pas conscients et n'ont pas appris à adoucir leur communication. En cas de crise, cela peut devenir cocasse !
Quels conseils donneriez-vous à un Français devant encadrer des collaborateurs étrangers ? Je lui dirais d'éviter les deux écueils suivants. D'abord, se méfier du fait que nous sommes culturellement très hiérarchiques. Prenez une réunion de travail regroupant un consultant junior, un consultant senior, un chef de département et le client. S'ils sont anglais, tous s'exprimeront à égalité. S'ils sont français, le chef de département parlera beaucoup plus que ses deux consultants. Le principe en Grande-Bretagne est que si l'on est compétent, on a droit à la parole, quel que soit son niveau hiérarchique. Ce qui n'empêche pas les Anglais de se montrer très disciplinés dans le travail.
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