Girish Mathrubootham (Freshworks) "Freshworks veut faire pour le CRM ce que l'iPhone a fait pour la téléphonie"

Licorne indienne du CRM, Freshworks est régulièrement distinguée pour ses solutions d'engagement client. Son directeur général, Girish Mathrubootham, évoque sa vision de ce secteur.

JDN. Votre entreprise a récemment été qualifiée de "visionnaire" par le Gartner Magic Quadrant for CRM Customer Engagement Center. Quelle dimension de la relation client pensez-vous avoir particulièrement bien comprise ?

Girish Mathrubootham est le CEO de Freshworks. © Freshworks

Girish Mathrubootham. Aujourd'hui, la plupart des entreprises traitent la relation client de manière déficiente. Elles ont un outil et une équipe différents pour les requêtes effectuées par email, par téléphone, sur leur chat et sur les réseaux sociaux, qui ne sont pas harmonisées. Ainsi, lorsqu'un même client contacte l'entreprise par téléphone après avoir échangé avec un représentant par email, le contexte est perdu, on repart de zéro et le client doit tout réexpliquer. Les entreprises ont à l'origine été organisées ainsi car les frontières entre ces différentes technologies étaient parfaitement hermétiques, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Cette division n'a donc plus de sens.

Notre ambition est de décloisonner. C'est pourquoi nous avons mis en place notre plateforme de relation client omnichannel. Freshdesk, notre produit phare, qui permet à chaque agent de prendre en charge les clients, quel que soit le canal utilisé pour contacter l'entreprise, et de conserver le contexte d'un canal à l'autre. On obtient ainsi une relation beaucoup plus efficace et harmonisée, et on donne une liberté totale au client dans le choix de la manière dont il contacte l'entreprise. Ainsi, les individus âgés ont une préférence pour le téléphone, tandis que les jeunes générations préfèrent utiliser le chat ou les réseaux sociaux…

Sur quels facteurs misez-vous pour vous différencier des ténors du CRM, comme Salesforce ?

La principale différence est que notre logiciel est conçu pour les utilisateurs finaux. De nombreux logiciels d'entreprise sont pensés avant tout pour des managers et dirigeants d'entreprise. Ils sont donc bien pourvus en outils d'analyse, mais ils sont très difficiles à prendre en main. Notre objectif a dès le début été de rendre notre produit intuitif. La seconde différence repose sur la façon dont nous traitons la personnalisation des services. La plupart des entreprises SaaS mobilisent un ingénieur qui se rend sur place et rédige de nombreuses lignes de code personnalisées. De notre côté, notre plateforme propose une bibliothèque avec des milliers d'applications déjà développées, parmi lesquelles les entreprises clientes peuvent piocher pour ensuite construire leur propre application personnalisée. Pour dresser une analogie, lorsque vous souhaitez installer une nouvelle application sur votre smartphone, recrutez-vous un consultant pour qu'il code l'application de A à Z à votre place ou téléchargez-vous simplement une application déjà disponible sur l'Apple Store ? Nous avons pour notre part opté pour le second modèle, ce qui permet à nos clients de se déployer beaucoup plus rapidement. Nous avons de nombreux exemples où nos clients ont pu mettre leur solution sur le marché en huit semaines, ce qui aurait pris huit mois avec une solution SaaS traditionnelle.

"Des clients ont pu mettre leur solution sur le marché en huit semaines, ce qui aurait pris huit mois avec une solution SaaS traditionnelle"

Vous avez, dès la création de l'entreprise en 2008, compris l'importance des réseaux sociaux dans la relation client. Quelles sont aujourd'hui les nouvelles tendances que vous voyez émerger et qui joueront selon vous un rôle déterminant à l'avenir ?

Les nouvelles applications de messagerie sont un canal dont l'importance est vouée à s'accroître avec le temps, car les jeunes générations préfèrent ce mode d'interaction aux appels téléphoniques. Des applications comme Apple Business Chat, Facebook Messenger et WhatsApp jouent donc un rôle clef pour permettre aux marques d'interagir avec les millénnials. Il devient ainsi capital de permettre au public d'échanger avec le service client via ces canaux, ce que nombre d'entreprises ne font pas à l'heure actuelle.

L'intelligence artificielle et les chatbots constituent bien sûr une autre transformation majeure, qui recèle une immense valeur potentielle pour les entreprises. Les chatbots permettent notamment d'automatiser un premier niveau d'interaction avec le client. Grâce à cette technologie, les entreprises peuvent investir ce nouveau canal qu'est la messagerie sans avoir à recruter un nombre exponentiel d'agents. Nous avons racheté une start-up, Joe Hukum, dans cette optique, et conçu notre propre logiciel d'intelligence artificielle appliquée à la relation client, baptisé Freddy.

"Nous avons conçu notre propre logiciel d'intelligence artificielle appliquée à la relation client, baptisé Freddy"

Quels sont les autres usages de l'intelligence artificielle, au-delà des chatbots, dans la relation client ?

Nombre de centres d'appels connaissent un turnover important, et sont donc contraints de former rapidement et en permanence de nouveaux agents. Nous avons pour cela conçu un assistant artificiel capable de guider les nouvelles recrues en temps réel lors de leurs premières interactions. À l'échelon supérieur, nous disposons d'une version de Freddy conçue spécialement pour les managers. Un agent conversationnel capable de fournir des analyses poussées sur l'entreprise. Le dispositif fonctionne sur le modèle d'Alexa ou de Siri, mais dans un cadre professionnel. Le manager ou dirigeant d'entreprise peut effectuer des requêtes complexes, du type "Combien de revenus peut-on escompter au troisième trimestre ? ", et l'intelligence artificielle fournit les données sous forme de rapport clair et intelligible.

Au-delà de l'aspect technologique, quel scénario envisagez-vous pour le futur du CRM ?

Lorsque Salesforce s'est lancé, la plupart des technologies d'aujourd'hui étaient inexistantes. Il n'y avait ni marketing automation, ni réseaux sociaux, ni logiciel de messagerie, ni intelligence artificielle... Ainsi, Salesforce a construit une plateforme. Et au fil des années, toutes ces nouvelles technologies sont venues se greffer par-dessus, de sorte qu'on se retrouve avec des stacks CRM extrêmement complexes. Par exemple, si je veux en mettre un en place pour mes équipes de vente, je dois ajouter un logiciel marketing, un logiciel de support, un autre pour le chat, pour l'intelligence artificielle… Les données des clients sont du même coup compartimentées dans différentes bases de données. C'est pourquoi tout le monde parle aujourd'hui de service d'intégration cloud pour tout relier et avoir une vision à 360 degrés des données clients.

Mais si l'on veut vraiment bâtir le futur, pourquoi s'ennuyer à devoir d'abord intégrer séparément différents outils, pour ensuite les lier à l'aide d'un outil supplémentaire ? Notre ambition est donc de faire pour le CRM ce qu'a fait l'iPhone en 2007 dans le domaine de la téléphonie, c'est-à-dire proposer un logiciel d'entreprise qui intègre directement toutes ces technologies existantes. Rassembler ventes, marketing, service client, mais aussi chat, bots et intelligence artificielle en une seule nouvelle plateforme. Le CRM de demain devra intégrer toutes ces technologies déjà disponibles, sous forme digeste et facilement utilisable. Nous donnerons plus de détails sur ce point dans le courant de l'année. Restez attentifs !