Il est urgent de réindustrialiser la start-up nation

Réconcilier industrie et startup. C'est l'un des objectifs affichés par France 2030. Le vaste plan d'investissement de 30 milliards d'euros sur 5 ans, vise à "reconquérir de la part industrielle, ré-innover dans et par l'industrie et donc décider de multiplier des financements de start-up industrielles".

Si ne plus opposer startup et industrie est une intention salutaire, attention à ne pas se tromper de logiciel et à véritablement prendre en compte les spécificités de l’aventure industrielle.

Raviver la culture industrielle française

Pour faire renaître l’industrie française, il faut avant tout raviver la culture industrielle encore ancrée dans notre pays, même si elle a beaucoup été mise à mal ces dernières années ! La désindustrialisation est évidemment un phénomène global, mais avec plus de 2,5 millions d’emplois évaporés, la France est le pays de l'Union européenne qui s'est le plus désindustrialisé depuis les années 70. Un constat appuyé par Pierre Musso, professeur à Télécom ParisTech : « Quand on pense industrie en France, on pense Germinal, conditions de travail déplorables, exploitations. Avec un tel imaginaire en tête, on a pu considérer chez nous qu'il était souhaitable que les emplois industriels diminuent... ».

Or, si l’on peut fermer une usine en une journée, en remonter une prend dix ans. Les pépites industrielles qui émergent maintenant comme Ynsect, Carbios ou Aledia sont en réalité issues du Plan d’Investissement d’Avenir, initié il y a dix ans. Un dispositif d’autant plus précieux que devenir un industriel cela ne s’invente pas, ça s’apprend. C’est un long parcours initiatique qui nécessite de bien appréhender de multiples facettes : savoir fabriquer des produits de qualité à bas coûts, définir un modèle économique, trouver des modes de financement, assurer le succès marketing et commercial comme la rentabilité à ses actionnaires...

Contrairement à leurs concurrents, nos jeunes pépites françaises sont chroniquement sous capitalisées. Même si l’on dit que la contrainte budgétaire « force le talent », nous arrivons clairement au bout de l’exercice. À un moment, si l’on veut créer de l’industrie en France, il faut investir de l’argent. C’est le nerf de la guerre, car c’est le seul moyen à la fois d’attirer des talents et de pouvoir investir lourdement dans la recherche et le développement de procédés et de capacités de fabrication performantes. En un mot, de se donner le temps nécessaire à la construction de ces aventures entrepreneuriales industrielles. L’ultra haute précision, l’excellence opérationnelle et la compétitivité sont à ce prix : le temps long.

Construire de l’industrie en France c’est possible !

Dans ce contexte, lancer une startup pour lancer une startup n’a pas de sens : s’engager dans cette aventure ne peut-être que le fruit d’un vrai projet industriel. Cela nécessite de croire en ses forces, en son projet, aussi ambitieux soit-il : lorsque je présentais il y a dix ans l’idée de micro-batteries révolutionnaires d’ITEN, beaucoup de gens me prenaient pour un fou ! Ce qui est important c’est de détecter les gens qui ont cette envie de réussir : c’est sur cette force de caractère qu’il faut miser. L’industrie offre de nombreux métiers très pointus et bien rémunérés pour des personnes qualifiées : il faut redonner aux gens la fierté et l’envie d’aller travailler dans ce secteur. 

J’ai personnellement eu l’honneur l’année dernière de recevoir le Prix Montgolfier de la Société d’encouragement de l’industrie nationale. Créée en 1801 sous Napoléon, cette association visait à favoriser l’engagement de la France dans la Révolution Industrielle, notamment face à l’empire britannique. Elle regroupait à la fois la gestion de la propriété industrielle et le financement des entreprises. Autant de services aujourd’hui scindés en différentes institutions. Pourquoi ne pas recréer aujourd’hui un guichet unique piloté par des industriels qui épouse cette vision entrepreneuriale complète ? Il pourrait proposer à la fois des moyens financiers mais aussi permettre d’obtenir des autorisations administratives accélérées et des moyens d’acquérir et de constituer des portefeuilles de droits de propriété intellectuelle, qui seraient mis à disposition des seules entreprises implantées en France. Un autre axe clé serait d’offrir une capacité à mobiliser le tissu académique pour engager des programmes ponctuels et ciblés de formation répondant aux véritables problématiques opérationnelles des entreprises. 

La mise en place et l’accès facile à de tels outils est la clé d’un écosystème performant qui incite à la multiplication des projets et favorise une culture industrielle qui se transmette. D’autant que nous bénéficions de chercheurs et d’un tissu universitaire exceptionnels. Mais aussi de l’expérience d’entrepreneurs aguerris ou de familles industrielles, comme Pâris Mouratoglou ou la famille Dassault, dont je sais qu’ils ont à cœur aujourd’hui d’accompagner le développement de l’industrie nationale en soutenant des projets. Reste à casser le paradigme de la startup nation, où de nombreux investisseurs visent trop souvent la revente rapide de leurs poulains au plus offrant. Dans un contexte de concurrence internationale exacerbée où la rapidité du développement et l’atteinte de la taille critique sont cruciales, c’est au contraire, en acceptant de d’investir beaucoup d’argent que nous construirons de véritables champions. 

De Napoléon à « France 2030 », l’ambition reste la même. Gageons que nous saurons nous montrer dignes de nos illustres prédécesseurs en rebâtissant une industrie au premier rang mondial qui réponde aux défis économiques, énergétiques et environnementaux du XXIème siècle.