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INTERVIEW
octobre
2004
Christophe
Roux-Dufort (EM Lyon)
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Christophe Roux-Dufort est professeur de management stratégique à l'EM Lyon. Il s'intéresse tout particulièrement au management de crise et aux changements dans les organisations. Il est le co-auteur avec Nicole Aubert d'un ouvrage publié en 2003 aux éditions Flammarion et intitulé Le culte de l'urgence. Ce livre explore le nouveau rapport au temps qui s'est instauré dans la société actuelle, et ses conséquences dans le monde de l'entreprise.
Que se cache-t-il derrière le "culte
de l'urgence" auquel vous faîtes référence dans votre livre ?
Christophe Roux-Dufort. Le régime d'urgence dans lequel les
entreprises se sont installées les fragilise et ouvre la porte à
de nouveaux types de crises et de risques industriels. Le moteur,
au départ, ce sont les marchés financiers, qui ont institutionnalisé
un système en temps réel. La logique de court terme qui prévaut
sur ces marchés a contaminé l'ensemble des entreprises et des secteurs.
Les objectifs sont de plus en plus à court terme. Ce régime d'urgence
se retrouve dans les messageries et les téléphones portables, qui
impliquent d'être disponible à tout moment, les systèmes de production
en temps réel, les systèmes d'information fournissant des indicateurs
en temps réel, etc. Tous ces systèmes obligent à s'adapter en temps
réel. Le régime d'urgence est devenu le régime normal de fonctionnement
dans toutes les entreprises depuis vingt ou trente ans.
Quelle est votre
définition de l'urgence ?
C'est une définition empruntée à Francis Jauréguiberry, maître
de conférence en sociologie à l'université de Pau : "L'urgence naît
toujours d'une double prise de conscience : d'une part qu'un pan incontournable
de la réalité relève d'un scénario aux conséquences dramatiques ou
inacceptables et, d'autre part, que seule une action d'une exceptionnelle
rapidité peut empêcher le scénario d'aller à son terme".
Ce régime de l'urgence s'appuie-t-il sur des situations d'urgences réelles ou supposées ?
Le régime d'urgence donne la sensation que tout est important, mais
en réalité, il existe peu d'urgences objectives. L'urgence subjective
est produite par les individus. Nous n'avons pas tous la même façon
de réagir. Certaines organisations, comme les hôpitaux, ont une
culture de l'urgence. D'autres produisent de l'urgence subjective.
La technologie contribue beaucoup à cela : les informations qui
s'accumulent en temps continu donnent la sensation qu'elles sont
plus importantes que les autres. De plus, la technologie nous permet
de faire plusieurs choses en même temps, ce qui conduit rapidement
à une lecture erronée de la situation.
Les 35 heures ont-elles eu un impact
sur ce sentiment d'urgence généralisé ?
C'est évident, car elles ont encore plus compressé le temps dont
on dispose, souvent pour faire autant de choses qu'avant. Cela a
donc modifié notre perception de l'urgence.
le management par objectifs installe un régime d'urgence" |
Pour un manager, comment gérer efficacement
l'urgence ?
Il faudrait bien la vivre, mais personne n'est bien avec l'urgence.
Quand on la lisse sur plusieurs années, elle détruit les individus,
comme il a été prouvé que le stress augmentait le risque de maladies
cardio-vasculaires. Il faudrait par exemple être capable de s'arrêter cinq minutes
dans la journée, mais tous les cadres vous diront que c'est impossible
à réaliser. Pourtant, il faut prendre du recul, au risque de prendre
tout le temps des décisions en réaction à ce
qui se passe. Or, ce mode de fonctionnement signifie qu'il est déjà
trop tard. Pour y arriver, on peut essayer de mettre des trous dans
son agenda. Mais pour la plupart des gens, un trou dans un agenda,
c'est incompréhensible. On ne comprend pas que quelqu'un puisse
ne rien faire.
Et comment gérer le sentiment d'urgence
de ses collaborateurs, auquel le manager contribue certainement
?
Il ne s'agit pas de savoir gérer l'urgence de ses collaborateurs,
mais de gérer sa propre urgence. Si on y arrive, on ne mettra pas
ses collaborateurs dans des situations d'urgence.
L'urgence est-elle devenue un système
de management ?
Bien sûr, le management par l'urgence est l'ingrédient de base.
Par exemple, le management par objectifs installe un régime d'urgence : il signifie que l'on dispose d'un temps déterminé pour réaliser
des objectifs, souvent impossible à atteindre. Et les managers sont
eux-mêmes managés comme ça, et ainsi de suite jusqu'en haut de l'échelle.
La perception de l'urgence est-elle
la même partout ?
Non, c'est la société occidentale qui est comme ça. Ceci est lié
à une perception linéaire du temps, qui le rend quantifiable. Le
temps est vécu comme une succession d'échéances, l'échéance ultime
étant bien sûr la mort. Plus on approche de l'échéance, plus l'angoisse
augmente, car elle est liée à la notion d'irréversibilité. L'autre
conception du temps est la conception cyclique, dans laquelle on
a toujours la possibilité de refaire. C'est celle des pays africains
et asiatiques. Cependant, la culture d'entreprise et l'économie
de marché sont portées par les conceptions occidentales. L'utilisation
des nouvelles technologies, partout et dès le plus jeune âge, accroît
cette propagation de l'urgence.
Le management de crise, c'est le management
de l'urgence ?
L'urgence n'est qu'un des ingrédients du management de crise : on
perçoit les enjeux comme étant extrêmement importants, et on perçoit
que l'on n'a quasiment pas de temps pour régler la situation.
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L'urgence est-elle proportionnelle
à la hauteur des responsabilités ?
La responsabilité ne fait qu'influencer la perception des enjeux.
Plus bas dans la hiérarchie, les enjeux sont plus faibles, mais
la perception qu'on en a est aussi élevée. L'ouvrier sur une chaîne
vit l'urgence quand il est au cur d'un système de gestion en flux
tendu.
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Parcours
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Avant d'enseigner à l'EM Lyon, Christophe Roux-Dufort a notamment été professeur à l'Edhec et Audencia. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : "Le culte de l'urgence", en collaboration avec Nicole Aubert, "Gérer et décider en situation de crise", et "La gestion des crises - un enjeu stratégique pour les organisations". Il est également consultant en entreprises spécialisé dans le management de crise, et a publié de nombreux articles de recherche dans des revues de sciences économiques et sociales. |
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