08/06/2005
Alexander Van
Beek (Château Giscours) Pour s'intégrer, il a fallu faire ses preuves
Directeur général de Château Giscours
et de Château de Tertre dans le bordelais, Alexander Van Beek a gagné, à force
de travail, le respect d'un milieu très fermé.
Propulsé
directeur général de Château Giscours (Bordeaux) à
24 ans en 1997, Alexander Van Beek a dû apprendre très vite à
parler français et connaître le vin. Mais l'intégration a
tout de même nécessité deux-trois ans de patience et de travail.
Comment
êtes-vous arrivé à Château Giscours ?
Alexander Van Beek. En juin 1995, je venais juste de finir mes études,
un MBA marketing et finance et je devais aller travailler pour une banque à
la fin de l'année. J'avais donc quelques mois de libre devant moi. C'est
à ce moment là que j'ai appris qu'un ami de la famille, Eric Albada
Jelgersma, avait racheté Château Giscours. Comme j'étais passionné
par le vin, je voulais voir comment se passait les vendanges. Je suis donc arrivé
début septembre à Château Giscours, en pensant que ce ne serait
que pour quelques semaines. Mais Eric Albada Jelgersma, qui dirige le deuxième
groupe de distribution aux Pays-Bas (Ndlr : magasins Spar, notamment)
et a racheté Château Giscours en nom propre, avait de grands
projets d'investissement et de restructuration pour redresser la qualité
du vin produit dans la propriété. Pour mener cela à bien,
il avait besoin d'un homme de confiance et m'a donc demandé de m'en occuper.
A 24 ans, c'était pour moi un vrai défi. J'ai appelé la banque
en Hollande chez qui je devais travailler pour me désister et je suis resté.
Connaissiez-vous bien l'ensemble
du processus de création d'un vin ? J'étais
passionné par cela et mon père est un grand amateur de vin mais
je n'avais pas de connaissances très poussées. J'ai pris des cours
d'nologie à mon arrivée mais c'est vraiment en voyant faire
sur place qu'on apprend le plus. Votre
intégration n'a pas dû être simple : vous étiez
Néerlandais, jeune, sans une grande connaissance du vin et vous veniez
pour restructurer l'exploitation... Il est vrai que le monde
bordelais est assez fermé, avec des familles implantées dans le
vin depuis plusieurs générations. Quand une personne arrive dans
ce milieu, qu'il soit étranger ou non, il faut qu'il fasse ses preuves
avant d'être accepté. Cela a été d'autant plus difficile
pour Eric Albada Jelgersma et moi que notre arrivée a été
accompagnée de difficultés dans le processus de vente de Château
Giscours. Une partie de la famille anciennement propriétaire contestait
la vente. Nos débuts ont donc été un peu difficiles mais
nous nous sommes concentrés sur nos objectifs : améliorer la
qualité du vin, faire des travaux de rénovation, etc. Et, petit
à petit, nous avons fait notre trou. Le rachat, en 1997, de Château
de Tertre par Eric Albada Jelgersma a facilité les choses. Les gens ont
vu cela comme le signe que nous prenions les choses au sérieux et ont vu
que nous faisions des investissements importants dans les deux exploitations.
C'était à la fois bon pour la production des deux châteaux
mais aussi pour toute l'économie locale puisque nous faisions travailler
les entreprises de la région pour les travaux. Depuis lors, les deux propriétés
sont devenues des petits bijoux et le vin s'est bien amélioré en
qualité. Au final, il nous aura fallu deux à trois ans pour se sentir
plus acceptés, et cela est venu par le travail que nous avons fourni.
Il nous a fallu deux à trois ans pour être
totalement accepté"
| Et comment cela s'est passé
avec l'équipe de Château Giscours ? Nous
avons beaucoup changé l'équipe car, à notre arrivée,
la plupart des gens étaient là depuis trente ans. Nous nous sommes
fait aider et conseiller par des experts nologues pour restructurer l'équipe
technique et la rajeunir. Et, peu à peu, les plus anciens sont partis à
la retraite. Nous avons aussi embauché un nouveau directeur commercial,
jeune lui aussi. Enfin, nous avons recruté l'ancien régisseur de
Cos d'Estournel début 1998. Avec le temps, en montrant à l'équipe
notre motivation et notre volonté d'améliorer la qualité
du vin, nous nous sommes faits accepter par eux. L'équipe
est entièrement française ou avez-vous recruté des personnes
d'autres origines ? Non, l'équipe est entièrement
française. Les deux seules personnes d'origine étrangère
sont moi-même et Eric Albada Jelgersma. Comment
avez-vous fait pour communiquer à votre arrivée ? Parliez-vous
français ? Je ne parlais que quelques mots de français
grâce à mon MBA réalisé à Genève, mais
c'était très succinct. Au début, la communication était
effectivement assez difficile et le dialogue avec les équipes un peu limité.
Ma secrétaire étant bilingue anglais, cela permettait de faire le
lien au départ. Puis j'ai très vite compris la langue et, avec le
temps, j'ai peu à peu réussi à m'exprimer en français.
Comment s'est passée votre adaptation
au monde du vin bordelais, qui a un fonctionnement bien particulier ?
A notre arrivée, nous avons regardé, Eric et moi, le fonctionnement
commercial de notre métier. Notre première réaction fut de
trouver ce système un peu archaïque. Les châteaux vendent leur
vin deux ans avant leur commercialisation à des négociants bordelais
qui s'occupent de le vendre ensuite au public. Donc un château ne sait pas
précisément à qui son vin est vendu et quelles sont les réactions
des personnes qui le consomment. Mais, avec du recul, nous nous sommes aperçus
que ce fonctionnement avait un certain sens. Tenir le château assez éloigné
de la vente de son vin lui permet de se concentrer pleinement sur la production
du vin. Ce qu'il faut retenir de notre expérience, c'est qu'il ne faut
pas hésiter à poser des questions pour bien comprendre le fonctionnement
d'un système. C'est ce que nous avons fait à notre arrivée
et cela nous a permis de voir au-delà d'un processus qui peut paraître
archaïque au début.
L'expérience des 35h aux Pays-Bas a été
un échec total"
| Qu'est-ce qui vous a le plus surpris
dans la façon de travailler des Français ?
Le passage aux 35 heures a été certainement la chose la plus complexe
que nous ayons eu à gérer car nous travaillons avec beaucoup de
main d'uvre. Nous avons été assez touchés par cela :
il a fallu réorganiser beaucoup de choses et, qui dit 35 heures, dit plus
de temps libre pour les salariés et donc plus d'occasion de dépenser
leur salaire... Il a fallu gérer ces différents éléments
et négocier. Aujourd'hui encore, nous avons beaucoup de peine à
recruter, à trouver du personnel qui accepte de travailler dehors par tous
les temps. Ce qui est étonnant avec les 35 heures, c'est que nous avons
déjà vécu ça aux Pays-Bas dans les années 70-80.
Notre tentative fut un échec total. J'ai donc été surpris
de voir que la France voulait se lancer dans la même voie... Aujourd'hui,
vous vous sentez totalement intégré dans votre milieu ?
Tout à fait. Si, au départ, les gens étaient
un peu distants, notre travail sur la qualité du vin
a fait sauter les verrous. A partir du moment où ils
ont constaté nos efforts, ils ont été beaucoup
plus ouverts et nous avons maintenant de très bonnes
relations. Nous sommes aujourd'hui totalement intégrés,
comme n'importe quel autre exploitant. La preuve : ma future
femme est elle-même issue d'une famille d'exploitants.
Parcours |
Alexander Van Beek
est âgé de 34 ans et de nationalité néerlandaise. Il est diplômé MBA marketing
et finances à Genève. En 1995, il est entré à l'âge de 24 ans à Château
Giscours, racheté peu avant par Eric Albada Jelgersma, également
Néerlandais. En 1997, il a pris la tête de Château du Tertre après
le rachat de cette propriété par Eric Albada Jelgersma. |
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