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INTERVIEW
 
21/11/2006

Derrick Bolton (Université de Stanford)
"Seules quelques business schools créent véritablement du savoir"

Le MBA de la prestigieuse université de Stanford est dans le trio de tête de tous les classements. Son directeur revient sur le projet pédagogique de l'école et l'avenir de la formation managériale.
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L'Université de Stanford abrite l'une des business schools les plus réputées au monde, troisième du classement du Financial Times. A la Stanford Graduate School of Business, un seul type de MBA : ni temps partiel, ni e-learning, mais deux années intensives sur le campus californien de Palo Alto. Car il est trop difficile d'être très bon à la fois en entreprise et en tant qu'étudiant. Interrogé par Le Journal du Management, Derrick Bolton, vice-doyen de Stanford et directeur MBA, revient sur le projet pédagogique de l'école, l'avenir de la formation managériale et le très compétitif marché des MBA.


Votre MBA a beau être l'un des meilleurs au monde, vous venez d'en refondre entièrement le programme. Pourquoi prendre ce risque ?
Derrick Bolton. Tous les
 
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ans, les business schools procèdent à des ajustements dans leurs programmes. Mais tous les dix ans, elles impliquent tous les acteurs - recruteurs, étudiants, intervenants, professeurs... - pour repenser leur MBA. Il s'agit alors de se demander : "En 2036, en 2046, qu'est-ce qu'un manager aura besoin de savoir ?"... et d'inventer une réponse. Le plus grand changement de ces dix dernières années, qui sera encore primordial dans trente ans, est la mondialisation. Il fallait donc inclure cet aspect bien davantage dans nos programmes. Par ailleurs, la communication prend une place croissante dans le management, notamment la communication écrite, Web et par e-mail en particulier. Nous avons renforcé cette discipline. Enfin, à des savoirs fondamentaux, nous avons adjoint une composante perspectiviste, qui donne aux étudiants le contexte et les grilles d'analyse dont ils seraient dépourvus.

Une autre révolution réside dans le fait que le programme ne suit plus un tronc commun : il est maintenant personnalisé...

Les étudiants venant d'horizons très variés, il nous semblait indispensable d'offrir un programme adapté à chacun de leurs parcours."

Tout à fait. Nous voulions changer la façon de vivre le MBA. Un tronc commun raccourci se concentre sur les fondamentaux et fait réfléchir les étudiants aux enjeux du métier de manager : quelles sont les responsabilités d'une entreprise vis-à-vis de la société ? sur quels critères doit-on juger la performance d'un marché ? quand doit-on faire preuve de discrétion ? quand des règles strictes doivent-elles gouverner les comportements ?... Chaque étudiant étant supervisé par un enseignant, ils décident ensuite ensemble quelles matières poursuivre, à quelles fréquence et profondeur... pour pouvoir adapter le programme à ses besoins et à son objectif de carrière. Les étudiants venant d'horizons professionnels et académiques très variés, il nous semblait indispensable d'offrir un programme adapté à chacun de leurs parcours.

Contrairement à certaines business schools préférant insister sur le travail en équipe, vous mettez l'accent sur le travail personnel. Pourquoi ?
Les dirigeants d'entreprises nous disent que les diplômés de MBA sont certes très bien formés au travail collaboratif, mais qu'ils ont du mal à prendre des décisions, à s'y tenir et à les assumer. Or quand on est un manager, on doit prendre certaines décisions individuellement. Nous les préparons donc à cela. Plus largement, nous les poussons systématiquement à prendre des risques. Par exemple, ils ne communiquent pas leurs notes aux recruteurs : cela les incite à essayer de nouvelles voies, à changer leurs habitudes... et à décider.

Vous avez également renforcé les cours de leadership...

Il est important que les idées se concurrencent mais que les étudiants collaborent."

Ces enseignements sont beaucoup pratiqués sous forme de mises en situation. Par exemple, les étudiants doivent imaginer devoir licencier un salarié. Que feraient-ils, que diraient-ils... autant de questions qu'il vaut mieux s'être posées avant de devoir le faire pour de vrai. Le feedback des autres étudiants permet aussi de construire sa conscience de soi. Or il est essentiel de bien se connaître pour être un bon leader. Par exemple, lors d'une session récente, un étudiant s'est vu reprocher d'être trop souriant, notamment lorsqu'il annonçait de mauvaises nouvelles. Le groupe lui a dit que l'on en venait à douter de la sincérité de son attitude. Typiquement le genre de retour que vous n'obtiendrez jamais en entreprise !

Que vous inspire l'apparition de MBA dans des pays comme l'Inde, la Chine, le Brésil...?
Le management est aussi important pour la société que la médecine ou les avocats. Le développement de business schools dans les pays émergents est donc très excitant. La Chine, par exemple, ne manque ni de capitaux, ni d'idées : elle manque de managers. La société fonctionnera mieux avec de meilleurs dirigeants. De plus, l'émergence de nouvelles écoles est aussi une bonne chose en terme de compétition : cela pousse tout le monde à s'améliorer.

Toutes ces business schools trouvent-elles assez d'enseignants de qualité ?
Non, c'est vrai, il n'y a pas assez d'excellents professeurs pour l'ensemble des écoles. Seule une poignée de business schools crée véritablement du savoir : Stanford, Chicago, le MIT... les autres écoles réutilisent nos manuels. Mais c'est toujours bon signe d'être copié !

Quelle est votre vision de la concurrence Amérique-Europe-Asie sur le terrain des MBA ?
Le marché regroupe beaucoup de concurrents. Dans ce cas, la solution est la différenciation : chaque école doit réfléchir à ce qu'elle fait le mieux. Et les étudiants choisir leur MBA selon ce qu'ils visent : un Chinois qui veut devenir un leader chinois fera son MBA en Chine, s'il veut devenir leader dans un groupe international, il suivra un MBA en Europe ou aux Etats-Unis.

Stanford GSB en chiffres
Taille des promotions
360
Nombre d'enseignants
120
Expérience professionnelle moyenne
4 ans
(de 0 à 14 ans)
Part d'étudiants étrangers
43 %
(50 nationalités)
Proportion de femmes
32 %
Nombre d'anciens diplômés français
GSB : 377
Université de Stanford : 1.246
Quant à la différence entre le modèle américain et européen, en dehors du fait qu'un MBA dure le plus souvent deux ans chez nous et un an chez vous, elle réside véritablement dans le fait que la connaissance est créée aux Etats-Unis. Les écoles qui créent les théories, les enseignants qui reçoivent les prix Nobel sont sur le sol américain.

Cela veut-il dire que l'enseignement aux Etats-Unis est théorique ou universitaire quand l'enseignement européen serait plus orienté vers les entreprises ?
Pas du tout. La Silicon Valley est la région la plus entrepreneuriale du monde, là où se développent les nouvelles sociétés, les nouveaux modèles économiques. Ce n'est pas un hasard si elle s'est implantée à côté de Stanford : c'est parce que nous savons anticiper. Nos collaborations très concrètes avec des entreprises comme Intel en attestent.

Que doit-on rechercher, selon vous, dans une business school ?
On doit bien différencier la formation et l'éducation. La formation vous apprendra à effectuer un certain nombre de tâches que vous mettrez en pratique à la sortie du MBA. L'éducation, elle, vous apprendra à être un leader. Cela vous sera utile tout au long de votre carrière.

L'un de vos credo est de "rester petit". Qu'est-ce que cela veut dire ?

Nous réduisons le coût du MBA pour les étudiants qui choisissent de travailler dans le secteur public, non-lucratif, ou dans un pays en voie de développement."

Cela consiste d'abord à limiter la taille des groupes de travail à 16 personnes, ce qui permet d'organiser des confrontations de points de vue impossibles en amphithéâtre. Par exemple, en cours de "pensée analytique critique", un sujet est travaillé chaque semaine - par exemple, "Google en Chine" -, présenté par un étudiant, puis débattu par tout le groupe. Cette configuration permet de concrétiser un principe qui nous tient beaucoup à cœur : il est important que les idées se concurrencent et que les étudiants collaborent. En conséquence, nos promotions de MBA ont donc une taille limitée : 360 étudiants, contre plus de 900 pour Harvard, Wharton ou Chicago.

Plus largement, nous avons envisagé, à la fin des années 90, d'ouvrir des campus à l'étranger. Mais on ne peut dupliquer nos enseignants. Ni les autres départements de l'Université de Stanford, avec lesquels nous travaillons régulièrement, comme dans l'atelier "biological design", où apprennent à collaborer étudiants en management et en médecine.

La proportion de femmes est un peu moins mauvaise dans les meilleures business schools que dans les autres : 38 % à Harvard, 32 % à Wharton, 32 % à Stanford. Pourquoi ?
Sites
Stanford Graduate School of Business
Université de Stanford
Classement des MBA
Parce que nous faisons beaucoup d'efforts pour attirer les femmes. Si nous ne le faisions pas, nous en aurions moitié moins. Nous essayons de réfléchir aux raisons qui les poussent vers la médecine ou le droit plutôt que vers les affaires. Et nous menons des actions spécifiques, à la fois dans les pays où il y a beaucoup de femmes dans les affaires et dans les pays où elles sont très peu présentes, comme en Amérique Latine. Car dans ces régions, ils est particulièrement important de créer des modèles qui servent de références aux autres femmes.

Vous avez mis en place un système de bourse assez original...
Effectivement. Au-delà du système de bourse classique des grandes business schools, nous avons voulu réduire la charge que constitue le financement d'un MBA pour les étudiants qui choisissent de travailler dans le secteur public, privé non-lucratif, ou dans un pays en voie de développement. Nous avons à cœur d'inciter les diplômés de notre MBA à s'engager pour des causes sociales, la croissance économique et la stabilité politique dans des organisations où les salaires sont généralement plus bas qu'ailleurs. Nous les aidons donc à rembourser leur dette.


Parcours

Derrick Bolton est vice-doyen et directeur MBA de la Stanford Graduate School of Business. Il commence sa carrière comme analyste financier chez McKinsey. Il décide ensuite de suivre, à Stanford, un MBA en parallèle d'un Master en administration d'université. A sa sortie, en 1998, il rejoint Goldman Sachs où il devient associé. En 2001, il est nommé directeur des admissions du MBA de Stanford GSB. Derrick Bolton est également titulaire d'une licence en psychologie de la Southern Methodist University, obtenu en 1994.



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